#2 - Fiche Pratique : La gestion et le financement d’un commun numérique au sein d’un GIP
Sommaire
Ce billet s’inscrit dans une démarche de recherche-action par laquelle le Programme Société Numérique de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) souhaite approfondir la pertinence et les modalités d’usage des Groupements d’Intérêt Public (GIP) pour le portage des communs numériques initiés ou rejoints par un acteur public. Il s’agit notamment d’exposer les avantages de ces structures dans un but de portage de communs numériques, mais également de révéler ou proposer des pistes de solutions aux différentes limitations rencontrées par des acteurs du terrain.
Une méthodologie en deux temps a été menée, s’appuyant sur une recherche bibliographique et différents entretiens et ateliers, permettant l’identification des « irritants » (au sens de tout ce qui peut ralentir ou bloquer la constitution de tels GIP dans un contexte de communs) d’une part et la formalisation de pistes de solutions d’autre part.
Quatre grands thèmes ont émergé : la gestion du commun au sein du GIP ; les modèles économiques possibles ; la constitution juridique des GIP ; et la gouvernance du GIP. Ce billet traite des deux premiers (gestion du commun & modèles économiques possibles), un second billet étant consacré aux deux thèmes restants. Chacun de ces billets viendra proposer des recommandations devant permettre de solutionner les irritants rencontrés liés à l’un des quatre thèmes identifiés.
Ce travail mobilise et complète diverses ressources préexistantes, auxquelles il renvoie autant que nécessaire :
- l’important travail pédagogique et outillant élaboré sous la direction de la direction générale des Finances publiques, et en particulier le modèle de convention constitutive de GIP ;
- les ressources développées par l’ANCT concernant les communs numériques :
Trois problématiques sont ici explorées : la définition du commun objet du GIP ; les licences sous lesquelles partager les ressources produites ; mais aussi le financement et de pérennisation du commun.
I. Bien définir le commun
La première difficulté qui peut survenir dans le cadre de la création d’un GIP pour structurer un projet de commun initié ou rejoint par un acteur public n’est pas lié au GIP en lui-même, mais à une divergence de compréhension par ses membres de ce qui constitue un commun numérique d’une part ; et de ce en quoi consiste le commun numérique objet du GIP d’autre part.
A. S'assurer de la bonne compréhension par les membres de ce qu'est un commun
L’absence de définition unanimement reconnue rend la notion de commun numérique difficile à appréhender pour l’acteur public. À cela s’ajoute le fait que le commun constitue un mode d’organisation et de production radicalement différent de ceux généralement connus des acteurs publics.
« Il y a par exemple un risque de confusion entre « commun » et gratuité chez certains agents »

1. Le commun numérique : une absence de définition préjudiciable
Pour palier l’absence de définition unanimement reconnue de ce que sont les communs numériques, il pourrait être envisagé de mener un grand programme d’acculturation des agents publics.
« Il serait intéressant de proposer un grand programme d’acculturation des agents publics (et des élus) à l’intérêt des méthodologies agiles de développement, à l’écoute des utilisateurs et aux logiciels libres »

À plus court-terme, mobiliser dès la création du GIP les différentes ressources produites par l’ANCT autour des communs numériques permettra d’aligner la compréhension de ce qu’est un commun numérique entre les membres du GIP .
Par la suite, la définition issue de ce travail d’alignement entre membres du GIP pourra être ajoutée à la convention constitutive.
La définition utilisée par l’ANCT constitue un bon point de départ pour définir un commun numérique :
« Un commun désigne une ressource produite et/ou entretenue collectivement par une communauté d’acteurs hétérogènes, et gouvernée par des règles édictées par la communauté, assurant le caractère collectif et partagé de la ressource.” »
2. Commun numérique : un mode d’organisation et de production radicalement différent
Les communs numériques constituent des modes d’organisation des communautés et de production des ressources radicalement différents de ceux généralement mobilisés par les acteurs publics. Il demeure donc nécessaire d’anticiper les irritants découlant du manque d’acculturation des acteurs publics aux communs numériques.
D’une part, les membres du GIP n’ont pas conscience qu’ils contribuent à un commun, au-delà du seul bénéfice pour leurs publics cibles ; et, d’autre part, certains acteurs peuvent assimiler commun et gratuité.
« « Nous pourrions envisager de mettre en place une communauté des GIP (en particulier concernés par les communs numériques, mais pas uniquement) pour pouvoir échanger sur des problématiques communes » »

B. Alignement des membres sur l’objectif poursuivi par le GIP
Une fois défini le concept de commun numérique, il importe de s’assurer que les parties prenantes soient en accord sur le commun spécifique qu’elles ambitionnent de produire. Ainsi, il peut arriver que les acteurs se retrouvent autour d’un besoin ou d’un objectif insuffisamment défini, ce qui peut rapidement entraîner des dissensions. Une définition claire et précise du commun numérique objet du GIP doit être intégrée à la convention constitutive pour pallier à cela. Ce commun doit être décrit d’un point de vue technique (notamment fonctionnel) et juridique (notamment en termes d’objet de propriété intellectuelle) afin de s’assurer que les membres partagent les mêmes ambitions de mutualisation.
En exemple, l’objet du GIP PIX est précisément défini au sein de la convention constitutive :
“Le groupement a une compétence nationale et a pour objet la délivrance d'une certification des compétences numériques, reconnue par l'Etat. Il assure la conception, le développement, la mise à jour, le déploiement, la promotion et la distribution d'un service en ligne d'évaluation et facilite l'accès de tous les publics à la formation sur ces compétences.
Aux fins de réalisation de ses activités d'intérêt général à but non lucratif, le groupement peut accomplir tous les actes, toutes les opérations de quelque nature que ce soit au profit notamment des services de l'Etat et de ses établissements.
De même, dès lors qu'ils concourent ou peuvent concourir à la réalisation de son objet, le groupement peut également œuvrer à la diffusion du service auprès d'autres opérateurs économiques, publics ou privés, en assurant la vente, la cession ou la concession, de tous biens matériels ou immatériels ou services conçus par lui directement ou acquis auprès de tiers, en France et dans le monde.
Le groupement pourra également participer au développement de démarches numériques innovantes d'intérêt général, en particulier dans le domaine de la formation et sur les compétences numériques.”
Le travail de définition de l’objectif vers lequel tend le GIP peut faire émerger des intérêts divergents entre les membres. Cela peut conduire à des conflits susceptibles de paralyser la gouvernance du commun. Pour éviter cela, il sera essentiel de bien décrire dans la convention constitutive les mécanismes de gouvernance du GIP.
Par la suite, une grande transparence des échanges et des prises de décisions pourra permettre de limiter les irritants nés des divergences d’intérêts entre membres.
II. Choisir la ou les licence·s libres appliquée·s aux ressources produites
« En l’absence de diffusion sous licence libre, la fin du GIP entraînerait celle du commun et des ressources produites »

Le choix de la ou des licence·s appliquée·s aux ressources objet du commun est également déterminant. En effet, l’absence de choix d’une licence est autant un risque en interne (un seul des membres de la communauté peut à tout moment remettre en cause les conditions de réutilisation de sa contribution) qu’en externe (les tiers peuvent décider de ne pas utiliser la ressource compte tenu de l’absence de vecteur contractuel).
III. Organiser le financement du commun
La création, le développement et le maintien d’un commun numérique par des acteurs publics n’est pas chose aisée, car les besoins du commun ne correspondent pas aux habitudes de financement l’acteur public. L’enjeu auquel doit répondre le GIP lorsqu’il est constitué pour porter un projet de commun numérique est de réconcilier la démarche d’investissement des membres au sein du GIP à des fins de répondre à un problème précis, et la pérennisation du commun en lui-même au travers de cette structure qu’est le GIP.
« Pour financer notre développement, on nous oriente vers les appels à projets lancés par l’Etat. Or, ces financements sont insuffisants au regard des enjeux et ne permettent pas d’inscrire les actions menées dans la durée »

Ainsi, le premier irritant qui peut être rencontré concerne la réutilisation de l’existant pour développer le commun numérique. L’adhésion au GIP traduit une volonté de l’acteur public de mutualiser des moyens avec d’autres acteurs publics dans l’objectif de développer et maintenir un commun numérique. Cependant, il demeure une réticence forte à envisager la possibilité de réutiliser des ressources existantes produites par des tiers, qui peut s’expliquer par deux raisons. D’abord, il y a un attachement de l’acteur public à avoir un produit entièrement développé par ses soins, ou ceux de ses partenaires. Cela s’explique notamment par le fait qu’il est plus facile d’engager des moyens pour du développement « maison » que pour l’adaptation et l’implémentation d’une solution existante. Ensuite, la réutilisation de l’existant et la mutualisation de développements implique de partager le contrôle et le pouvoir décisionnel sur la ressource, ce qui n’est pas toujours naturel pour un acteur public.
Une contradiction peut également être ressentie entre l’objectif de mutualisation du GIP et la nécessité pour les acteurs publics de justifier de façon précise la mobilisation de leurs moyens.
IV. Anticiper la pérennisation du commun numérique
Les irritants rencontrés concernant le financement du GIP et du commun numérique qui en est l’objet peuvent avoir des incidences sur la pérennisation de ce dernier dans le temps. En effet, nombreux sont les acteurs engagés au sein d’un GIP à craindre que la structure n’arrive pas à atteindre le stade de l’autonomie financière par des ressources propres, et soit contrainte soit de s’éteindre, soit d’externaliser hors de la communauté la construction des ressources.
À plus long terme, une réflexion pourra être menée concernant les modes de financements innovants des communs numériques par l’acteur public.