#1 - Eclairage théorique : L'association comme structure juridique pour les communs numériques ?
Sommaire
Association et communs numériques partagent de nombreuses similarités, qui expliquent en grande partie le recours à l’association pour structurer des projets de communs numériques, et ce aussi bien par les acteurs privés que publics.
Concernant spécifiquement les acteurs publics, la popularité de l’association comme outil de structuration des communs numériques s’explique sans doute parce que l’association permet à l’acteur public de pouvoir rapidement structurer et autonomiser un projet de commun numérique, et ainsi faciliter la constitution d’une communauté autour de ce dernier. Et ce, en répondant à plusieurs objectifs qui lui sont fixés dans le cadre de la réalisation de mission de service public :
- Mutualisation des moyens matériels, financiers et humains nécessaires à la réalisation des missions de service public
- Collaboration avec les acteurs privés de son territoire ; démocratie participative, etc.
De ce fait l'association est un outil juridique de choix pour faciliter la création ou la participation d'un acteur public à un projet de commun numérique. En effet, un acteur public pourra créer une association pour autonomiser le portage d'un commun numérique qu'il aurait impulsé, et ouvrir sa gouvernance à d'autres acteurs, publics ou privés. Mais la création d'une association pour structurer un projet de commun initié par d'autres que l'acteur public permettra également de faciliter la participation de ce dernier. Une fois structurer en association, un commun pourra ouvrir sa gouvernance à l'acteur public, mais aussi prétendre à l'octroi de subvention afin de financer son maintien et son développement.
Dans ce premier article, nous :
- Proposons une définition de chacune de ces deux notions
- Apprécions la pertinence de l’association comme outil juridique de structuration de projets de communs numériques
Des concepts convergents qui intéressent particulièrement l’acteur public
En définissant l'association et les communs numériques, le constat d’une convergence entre ces deux notions apparaît évident.
Définition de l'association, une structuration adaptée pour organiser une communauté d'acteurs hétérogènes
La loi du 1er juillet 1901, en son article 1er, définit l’association comme « la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ».
Surtout, la liberté de création d’une association est protégée au niveau international, européen, mais également national en tant que liberté constitutionnelle. Pour autant, l’association ne sera dotée de la personnalité morale, et donc de la capacité juridique, qu’après publication au Journal officiel suite à déclaration de sa création par ses fondateurs.
Référence :
Définition des communs numériques et enjeux pour les acteurs publics
Si la notion de communs numériques n’est pas précisément définie, la notion renvoie aujourd’hui communément à l’idée d’une ou plusieurs ressources numériques produites et maintenues collectivement par une communauté d’acteurs hétérogènes, selon des règles de gouvernance auto-définies et qui en assurent le caractère démocratique et ouvert. Aujourd’hui, les communs numériques sont de plus en plus mobilisés par les acteurs publics, et notamment les collectivités territoriales. Qu’elles en soient les initiatrices ou rejoignent des projets pré-existants, les collectivités voient dans les communs numériques des outils innovants pour renouveler les services publics et renforcer la démocratie participative ; mais également comme des moyens de mutualisation entre collectivités, voir entre acteurs publics.
Points de convergence entre les deux notions
L'association présente de nombreux avantages dans le cadre du portage ou de la structuration d’un projet de commun numérique.
Facilité de création
L’association peut être créée sans capital initial, ce qui en fait un outil facile à créer. Ensuite, son régime légal peu contraignant fait de l’association une structure de gouvernance du commun facilement mise en place, et qui permet de faire collaborer avec des acteurs associatifs, industriels, mais également publics.
Liberté statutaire
Le régime légal de l’association est assez succinct et renvoie aux statuts pour l’essentiel de l’organisation et de la gouvernance de celle-ci. Cela assure à la communauté de garder la main sur la définition des règles de gouvernance du commun. Ainsi, outre l’obligation de déclaration en vue de l’obtention de la personnalité morale, la loi du 1er juillet 1901 ne fixe aucune obligation aux associations ; ce qui offre une grande souplesse à la communauté dans l’organisation et le fonctionnement de sa structure juridique.
Mise en commun de connaissances et d'activités
L’essence de l’association est avant tout la mise en commun de connaissances et/ou d’activités. Cela suppose de la part des membres un investissement dans la vie associative, qu’il soit physique ou intellectuel, et pas uniquement matériel. En effet, la qualité de membre ne saurait être conférée du seul fait du paiement des cotisations, qui par ailleurs ne sont aucunement obligatoires. L’association se concrétise ainsi par la mise en commun par les parties de connaissances et d’activités, mais également de biens venant en support à ces dernières.
But désintéressé
Le but désintéressé est l’une des caractéristiques qui distinguent l’association de la société. La gestion désintéressée implique que les dirigeants exercent leurs activités bénévolement ; l’association ne procède à aucune distribution directe ou indirecte de bénéfice, sous quelque forme que ce soit ; les membres de l’association et leurs ayants droit ne détiennent aucune part, quelle qu’elle soit, de l’actif.
La possible fédération d'associations
En plus de correspondre à la volonté des commoners d’auto-définition des règles de gouvernance de leur commun, la logique contractuelle de l’association permet de facilement procéder au regroupement d’associations. Deux types de groupement sont possibles : l’union et la fédération. La fédération est une union d’associations sans considération de niveau ; tandis que l’union est un regroupement d’associations qui peuvent elles-mêmes déjà être regroupées en fédérations.
Les règles applicables à l'administration d’une union, et par extension d’une fédération, sont les mêmes que celles applicables aux associations de premier niveau. Cela permet d’imaginer un maillage du territoire impliquant les collectivités locales, autour d’un projet de commun numérique à dimension nationale, voir internationale.
Une pertinence qui demande la résolution de certains irritants
Le principal irritant relatif à la mobilisation de l’association pour structurer des communs numériques va concerner la participation de personnes morales de droit public ; mais l’association sera également limitée pour accompagner le développement économique d’un commun numérique.
Participation des personnes morales de droit public
La participation de personnes morales de droit public à une association est soumise à quelques conditions :
- une telle adhésion doit être en conformité avec les missions de l’organisme de droit public concerné
- la participation d’une collectivité territoriale à une association doit être conforme à l’intérêt local
- le représentant de la personne morale au sein d’une association ne peut participer à titre personnel à cette même association
- la personne morale de droit public doit éviter de s’immiscer dans la gestion de l’association
- l’adhésion d’une personne morale de droit public à une association ne doit pas non plus avoir pour objet ou pour effet le contournement des règles de la comptabilité publique.
Ces limitations à la liberté d’association demeurent minimes et ne concernent que quelques cas particuliers. En effet le principe de liberté, découlant de la nature conventionnelle de l’association, est très prégnant et se prolonge dans la grande liberté laissée aux membres dans l’organisation de l’association.
Limitations des activités économiques et commerciales d’une association
Le développement d’une activité commerciale par les associations est limité en premier lieu par les exigences requises pour se voir reconnaître la qualité de commerçant et les avantages qui en découlent, essentiels dans l’optique d’une activité économique concurrente à celle d’opérateurs commerçants.
Par ailleurs, les conditions requises d’une association pour qu’elle puisse avoir une activité économique ou commerciale sont relativement lourdes et donc antagonistes avec la souplesse qui fait le succès de l’association comme outil de structuration des communs.
Mais cette grande souplesse, découlant de la liberté laissée aux statuts pour organiser l’association, est vectrice d’insécurité juridique limitant les possibilités concrètes de contracter et donc de développer une activité économique permettant d’assurer la pérennité du projet de communs numériques porté par la structure associative. En effet, toute personne amenée à contracter avec l’association doit prendre les précautions suivantes :
- consulter les statuts afin de connaître l’organe qui a qualité pour représenter l’association, c’est-à-dire agir en son nom et pour son compte ;
- s’assurer que ce représentant conventionnel a été régulièrement désigné ;
- vérifier que le représentant de l’association agit dans les limites de l’objet de celle-ci et ne dépasse pas les pouvoirs qui lui ont été conférés lors de sa désignation.
Cela demande un travail conséquent qui limitera d’autant les possibilités pour l’association de contracter avec les tiers, et remet donc en question la pertinence de ce modèle quant à la soutenabilité économique du modèle associatif.
Ainsi, une association souhaitant développer une activité commerciale cherchera à rendre son fonctionnement le plus transparent possible pour les tiers. Cela passera notamment par la mise à disposition des statuts, règlement intérieur et procès-verbaux des assemblées générales via un site internet, par exemple. Cette limitation dans la pratique de l’activité économique de l’association va rendre d’autant plus important pour l’association et pour le commun l’octroi de financement public.