Ce dossier de la revue Quaderni consacré à l'Intelligence Artificielle (IA), titré « entre raison et magie » réunit plusieurs contributions consacrées aux relations entre l'intelligence artificielle et les modes de vie individuels ou collectifs contemporains qui constituent le cadre social de son déploiement.
Dans ce dossier, coordonné par Thierry Ménissier, l’IA est simultanément envisagée sous deux angles de vue : « d’une part, elle est considérée comme une des pointes avancées de la technologie contemporaine, peut-être susceptible, du fait de sa puissance et de ses champs d’application variés, de transformer profondément les manières de vivre et de penser héritées du passé (pour donner un seul exemple, l’hybridation humain-machine inclut aujourd’hui des algorithmes et conduit peut-être au transhumanisme). Mais d’autre part (…) sa réception est envisagée comme un cas parmi d’autres d’un dialogue entre l’humain et les artefacts utiles qu’il engendre, favorisant un type d’interrogation dont les origines remontent probablement au début de l’histoire de techniques ».
En portant son attention sur le phénomène social de l’augmentation technologique des personnes handicapées, Alexandre Bretel, souligne le fait qu’il existe, « au sein de l’expérience prothétique du corps vulnérabilisé, à la fois une tentation d’hybridation consentie de l’humain avec la machine et de larges zones impensées, où se déploie un imaginaire flou encore soustrait à l’évaluation éthique ».
Dans le cadre d’une exploration de la thématique de l’aliénation technique rapportée à l’IA, Tyler Reigeluth prend en considération le malaise inévitablement engendré par les machines complexes. « Saisir la technique dans sa continuité avec l’activité vitale conduit à envisager que la machine est porteuse de normes aussi invisibles que prégnantes, qu’il est nécessaire d’objectiver. Un tel renversement de perspective conduit à tester l’hypothèse que les machines algorithmiques sont caractérisées par une efficience de type magique ».
Fabienne Martin-Juchat, pour sa part, émet une hypothèse audacieuse : « les objets communicants animés par l’IA, tels qu’ils sont aujourd’hui conçus, puis « mis en marché » et enfin adoptés par des usagers, sont sous-tendus par des valeurs originales pour lesquelles il faut concevoir le cadre d’un « néo-animisme ». Cette interprétation, contre-intuitive, « est perturbante dans ses conséquences, car elle tend à modifier ce qu’on doit penser pour qualifier les relations entre les humains et les artefacts socio-techniques, d’une part, et entre la pensée rationnelle et les besoins de niveau spirituel, de l’autre ».Thierry Ménissier, après avoir observé « la confusion qui s’installe entre la fiabilité de l’expertise algorithmique et la notion de confiance», s’interroge sur les conséquences de l’adoption massive des systèmes d’IA par les services publics. « Les fonctions régaliennes des institutions, si elles ont depuis des temps très anciens été servies par des dispositifs sociotechniques nombreux et variés, courent aujourd’hui un risque nouveau, sous l’effet de l’apparition d’une forme d’autorité des machines ».
Sommaire
- Emmanuel Taïeb : « Dis Siri » : dialogue avec l’Intelligence Artificielle
- Thierry Ménissier : L’IA, un artefact technologique porteur de promesses d’amélioration et riche de ses zones d’ombre
- Alexandre Bretel : Corps reconfigurés ou corps augmentés ? Techno-imaginaire de la figure du cyborg chez les personnes en situation de handicap
- Tyler Reigeluth : Le rapport magique à l’Intelligence Artificielle, ou comment vivre avec l’aliénation technique
- Fabienne Martin-Juchat : Sur le néo-animisme technologique à l’ère de l’engouement pour l’Intelligence Artificielle
- Thierry Ménissier : Jusqu’où l’institution peut-elle être augmentée ? Pour une éthique publique de l’IA
Références :