Sous le titre Tiers lieux : une émancipation en actes ? la revue Sociologies pratiques », éditée par les Presses de Sciences Po, consacre un dossier aux tiers lieux et fablabs.
Cynthia Colmellere, Delphine Corteel, Volny Fages et Stéphanie Lacour, qui ont coordonné ce dossier, reviennent, dans un article d’introduction (« dénouer l’écheveau des tiers lieux : tentatives généalogiques ») s’attachent à inscrire les fablabs dans une double généalogie.
« L’histoire des makers s’arrime d’abord à une histoire de l’informatique mettant en avant l’importance des hackers. Cette trame généalogique passe ensuite de la côte est à la côte ouest des États-Unis, avec une seconde génération de hackers qui, durant les années 1970, bricolera le hardware informatique ». C’est dans ce « creuset californien » des années 1970 qu’émergent les « tensions fondatrices » qui structureront profondément le mouvement des makers jusqu’à aujourd’hui : « entre hobby et business, entre libertarisme et libéralisme marchand, entre. partage et appropriation commerciale, le monde des passionnés d’informatique se scinde à cette époque ». « Le monde des makers, expliquent-ils, « ne se superpose pour autant pas exactement à un monde de passionnés d’informatique, de bidouilleurs high-techs de logiciels ou d’ordinateurs. Les lieux rassemblant ces communautés sont également marqués par une forte valorisation du faire, du fabriquer soi-même, du DIY (Do it yourself). » Il s’inscrit dans une autre tradition : celle des divers mouvements qui valorisent, « depuis le XVIIIe siècle, l’artisanat, le craft, la « belle ouvrage », le bricolage, jusqu’au monde du DIY et à la culture punk. Le bricolage est saisi ici comme un ensemble de pratiques se constituant en « contrepoint à l’ordre productif dominant ».Les entretiens réalisés dans ce numéro portent sur les questions « de l’émancipation, du collectif, des bonnes manières de nommer les activités réelles et des usages rhétoriques et stratégiques du langage vis-à-vis de l’extérieur, en particulier des financeurs potentiels»..
Comme les enquêtes sociologiques publiées dans ce dossier, ils s’inscrivent aussi dans un moment un peu particulier, celui de l’institutionnalisation des fablabs, autour, notamment, du Réseau français des fablabs.
En analysant l’expérience d’implantation d’un fablab dans une université parisienne, Jean-Marc Galan et Francesca Musiani montrent l’écart entre les ambitions et objectifs annoncés, les moyens mis à disposition et les résultats concrets. Ils soulèvent, en creux, la question du rôle du fabmanager dans l’animation du lieu.
« La volonté d’émancipation peut aussi se heurter à un certain nombre de contraintes de divers ordres et en premier lieu la nécessité, pour les usagers de ces lieux, de disposer déjà de certaines compétences pour être en capacité de s’approprier les machines, les outils, les savoirs et les savoir-faire ». C’est notamment ce que montre Jérôme Lamy dans son article consacré à un fablab implanté sur un territoire rural peu doté en ressources technologiques.Antoine Larribeau, pour sa part, explore, dans la période actuelle, les relations entre conditions d’exercice du métier d’ingénieur et engagement hacker. « Il ouvre une piste peu explorée jusqu’alors qui interroge le lien entre rapport au travail dans l’industrie et engagement dans des activités relevant d’une éthique hacker. Il fait l’hypothèse que les hackerspaces et plus largement les fablabs peuvent constituer des espaces de travailà-côté, mais aussi de travail salarié plus épanouissants que ceux que propose l’industrie pour les tenants d’une éthique radicale ».
Sommaire- Cynthia Colmellere, Delphine Corteel, Volny Fages et Stéphanie Lacou: Dénouer l’écheveau des tiers lieux : tentatives généalogiques
- Entretien avec Matei Gheorghiu
- Entretien avec Julien Bellanger
- Entretien avec Évelyne Lhoste
- Jean-Marc Galan et Francesca Musiani : Créer un fablab à l’université : enjeux humains et institutionnels
- Jérôme Lamy : Fablab à la campagne : régimes d’actions et articulations des investissements
- Antoine Larribeau : Du bidouilleur amateur à l’informaticien, apprendre le détournement : une étude de la socialisation au hacking informatique
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