Sur les 2,6 millions d’étudiant.e.s que compte la France, 40 % exercent, en parallèle de leurs études, une activité rémunérée (hors stages). Face à l’allongement du temps des études, la recherche de financements par le biais d’activités rémunérées peut s’avérer cruciale.
Depuis quelques années ont émergé des plateformes et des applications numériques s’adressant spécifiquement à des étudiant.e.s, leur promettant un accès facilité à des jobs variés, bien rémunérés et faciles à insérer dans leurs emplois du temps.
Constatant la montée en puissance de plateformes numériques d’emploi, une équipe de sociologues (« Mondes de l’emploi étudiant à l’heure numérique ») a étudié l’effet de ces intermédiaires numériques sur l’emploi étudiant, dans le cadre de l’Appel à projets « Formes de l’économie collaborative » lancé par les services d'études des Ministères du travail et des solidarités (DARES et DREES).
Trois promesses des plateformes
Les intermédiaires numériques d’emploi destinés aux étudiant.e.s prennent la forme de sites, de plateformes web ou d'applications mobile, qui formulent trois promesses générales :- trouver rapidement du travail pour des étudiant.e.s majoritairement jeunes, bien connecté.e.s et se tournant spontanément vers internet ;
- permettre d’insérer facilement l’emploi du temps professionnel dans l’emploi du temps studieux – évolutif au cours de l’année ;
- travailler selon ses besoins financiers, en réalisant des missions ponctuelles et sans engagement à long terme, grâce au statut de micro-entrepreneur.
Quatre types de plateformes et intermédiaires numériques d’emploi
Les auteur.trice.s de l’enquête soulignent, à ce propos, « la diversité des intermédiaires numériques d’accès à l’emploi pour les étudiants, et une stratification du jobbing étudiant en fonction des plateformes mobilisées ».Ils ont ainsi identifié quatre types de plateformes :
- Les agrégateurs de petites annonces d’emplois, ou « job boards ». « Les candidats peuvent activer des filtres pour trouver l’activité qui leur convient et postulent ensuite via le site, par le biais d’un CV et d’une lettre de motivation le plus souvent mais sans afficher publiquement leur identité ou leurs compétences ».
- Les plateformes relationnelles : il s’agit des réseaux numériques d’annonces généralistes ou spécialisées (par exemple, dans la garde d’enfants) qui fonctionnent « comme des réseaux sociaux où la confiance naît de l’entresoi ou de connaissances communes qui doivent rassurer sur les compétences des postulants ».
- Des plateformes que les auteur.trice.s qualifient « d’électives » où « les étudiant.e.s construisent un profil, travaillent sur leur présentation, font un choix de photographie raisonné, imaginent les compétences souhaitées par les parents qui seront leurs employeurs ». Ces plateformes conseillent d’utiliser le statut de micro-entrepreneur sans l’imposer mais assurent un travail d’intermédiation sous la forme de formulaires administratifs pré-remplis, de guides pour obtenir des aides de la CAF (services d’aide à la personne), de proposition de prendre en charge le paiement.
- Des plateformes algorithmisées qui assurent l’appariement, via un algorithme, entre des candidats et des employeurs aveugles en conséquence aux caractéristiques personnelles des étudiant.e.s qui ont été pré-sélectionné.e.s par la plateforme auparavant. « Le travail de mise en scène de soi est ici allégé, voire inexistant. Le rôle de la plateforme est ici particulièrement fort et prend la forme le plus souvent d’une application, qui gère les propositions d’emploi, les « poussent » aux pools d’étudiants disponibles, fait transiter les rémunérations, fait évaluer les deux parties à la fin de la mission ».
« Ces quatre figures de l’intermédiation numérique dessinent des contraintes, des appropriations et des compétences variables pour les étudiants »
Les caractéristiques sociales des étudiant.e.s varient, en effet, selon le type de plateforme. « Les plateformes électives et relationnelles, qui font une grande place au réseau personnel et favorisent l’entre soi, accueillent un public plus favorisé et féminisé : les femmes sont ainsi nettement surreprésentées sur les plateformes relationnelles et électives (en lien avec les activités exercées), de même que les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures et les étudiants parisiens ».A l’opposé, les plateformes algorithmisées et les jobs boards accueillent un public plus diversifié et moins favorisé, « ce qui semble aller dans le sens d’une moindre discrimination de certains profils sur ces espaces en ligne : les étudiants boursiers, les étudiants ayant une ascendance migratoire et les étudiants étrangers sont ainsi surreprésentés sur les job boards et les plateformes algorithmisées »
Transformations du rapport à l’activité rémunérée et à l’emploi du temps
Le travail via les plateformes est en effet singulier à différents égards :- Des missions courtes caractérisées par un temps de travail moins important que la moyenne ;
- l’émiettement du travail et flexibilité temporelle : « chercher des missions suppose, de la part des étudiants, de gérer des sollicitations, d’être aux aguets, et la quête permanente de l’optimisation temporelle peut se faire au prix de stress ou de tension, particulièrement perceptibles pour les étudiants des plateformes algorithmisées » ;
- « si la multiplication des missions variées permet de valoriser des expériences diverses dans un CV et améliore peut-être l’insertion professionnelle, elle a pour conséquence également de limiter les sociabilités de travail et de créer un possible désengagement de jeunes qui « empilent » des missions sans lien entre elles».
Le statut de micro-entrepreneur faiblement protecteur
Les statuts d’emploi des étudiant.e.s passé.e.s par le numérique sont très variés : de l’absence de contrat de travail (travail au noir), au statut de micro-entrepreneur, ou à des formes plus classiques de contrat (CDD, CDI, intérim…).Le travail informel/non déclaré concerne une part non négligeable des étudiant.e.s qui travaillent : « de ce point de vue, le micro-entrepreneuriat constitue une protection, même minimale, par rapport à l’absence de contrat ».
Le statut de micro-entrepreneur, fréquemment exigé pour travailler via ces plateformes, permet d’être indépendant et de ne pas dépendre d’un employeur en particulier ; il protège toutefois moins les étudiants en cas d’absence de missions ou d’accident du travail. Il génère, en outre, une charge administrative. « Certains étudiants se laissent surprendre par les contraintes liées à la gestion d’un tel statut, à l’opposé des promesses des plateformes qui en vantent la simplicité ».
Difficultés à gérer une double activité
La quête d’un budget temps « équilibré » apparaît enfin comme une dimension centrale dans la façon dont les étudiants entrevoient l’activité rémunérée via les intermédiaires numériques.Elle leur permettrait d’optimiser les temps de recherche d’emploi, de déplacement inter-sites, et de rentabiliser les temps interstitiels (trous dans l’emploi du temps). « C’est en tout cas l’impression qu’en ont les étudiants ». L’enquête montre , toutefois, que « globalement les emplois obtenus par l’intermédiaire de plateformes (en comparaison de ceux obtenus par des canaux traditionnels) ne facilitent pas nécessairement la conciliation entre temps de travail rémunéré et temps d’études ».
Une « uberisation » du travail étudiant qui reste limitée
Le principal résultat de cette enquête est que « les intermédiaires numériques n’ont pas révolutionné l’accès à l’emploi des étudiants ».- Les modes d’accès numériques à l’emploi sont souvent encastrés dans des mécanismes sociaux plus traditionnels : « les pairs, les amis ou l’entourage familial, continuent à jouer un rôle important pour l'accès à l’emploi, voire l’accès aux plateformes d’emploi ».
- L’accès à l’emploi via une plateforme ou une application ne concerne encore qu’une minorité d’étudiant.e.s : seul un étudiant sur cinq est passé par une application ou une plateforme d’emploi numérique pour accéder à l’emploi.
- Le contenu des activités a peu changé avec le recours au numérique : « le soutien scolaire (15% des étudiants exerçant une activité rémunérée), le baby-sitting (18%), l’hôtellerie-restauration (13%) ou encore la vente (16%) demeurent les activités les plus fréquemment exercées par les étudiants, de manière très stable depuis les années 2000 ».
Références :