Sous le titre « Penser les données par le territoire », Balisages, la revue de recherche de l’Enssib (École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques) consacre un dossier thématique à la question du territoire numérique et à ses configurations, spatiales, communautaires et épistémiques.
Ce numéro, coordonné par Emmanuel Brandl, Geoffroy Gawin et Valérie Larroche vise à « affiner la notion de territoire numérique en interrogeant sa capacité à rendre compte de la vie sociale et des pratiques culturelles dans le cyberespace, défini comme un espace numérique constitué de l’ensemble des systèmes d’information planétaires ».
La spécificité du regard proposé réside ici dans le choix de ne s’intéresser qu’aux activités qui ne dépendent pas d’un espace géographique.
L’approche des territoires numériques proposée par les coordinateur.trice.s de ce dossier se distingue de celles qui se réclament volontiers d’un territoire "augmenté", d’un territoire physique dont les capacités de ses acteurs se trouvent amplifiées par des ressources numériques.
Deux entretiens approfondis, l’un avec Dominique Boullier et l’autre avec Pierre Musso, ouvrent le dossier et s'attachent à déconstruire la notion de territoire numérique.
Les auteur.trice.s des contributions abordent la notion de territoire numérique de trois manières différentes : à travers l’analyse des processus et modalités de soi, par l’analyse des reconfigurations des accès aux savoirs ou encore par « l’identification de foyers attentionnels ».
Camille Alloing et Mariannig Le Béchec s’intéressent aux logiques de territorialisation des organisations par l’analyse des pratiques ordinaires qui se jouent dans les médias numériques. Ils étudient plus particulièrement des projets culturels financés par la plateforme Ulule.com et des organisations (commerciales, institutionnelles) présentes sur Twitter, Facebook et YouTube. Ils observent les formes de territorialisation permises par les pratiques et l’usage des médias sociaux.Kaouther Azouz nous invite à considérer l’évolution de l’appropriation du cyberespace par des lieux de savoir (bibliothèques, musées et archives), et estime qu’elle débouche sur des « espaces de savoir interconnectés ». Elle prolonge la question de l’impact du web de données sur des territoires numériques existants préalablement, et, d’autre part, à penser l’articulation entre espace, lieu de savoir et territoire numérique.Emmanuel Ngué Um et Jean-Paul Ndindjock soulignent le rôle essentiel joué par les moteurs de recherche les plus utilisés par les internautes, « un des acteurs du techno-pouvoir. Ce dernier détermine des territoires numériques discursifs par une logique algorithmique dessinant des foyers attentionnels, repérables par des mots-clés ». Construite à partir de l’extraction de discours issus de WhatsApp et Twitter et d’une méthode textométrique, leur analyse montre que, « plus un pôle est dense par la quantité de discours qu’il cristallise, plus le territoire numérique qu’il produit est important et plus ce dernier est pourvoyeur d’attention pour les internautes».A partir de l’expérience de BiblioLabs, un outil de traitement des données liées aux publications et aux projets de recherche qui a connu de nombreuses évolutions, Luc Bellier, Henri Bretel et Laurence Gandois proposent un retour réflexif sur les conditions de production d’un « territoire de données » qui soit le reflet d’un « territoire institutionnel ».
Céline Leclaire revient sur la réalisation d’une nouvelle version du Schéma numérique 2020 de la Bibliothèque nationale de France (BnF) qui a pris la forme d’une carte heuristique et d’un document la reflétant. Ce retour d’expérience fait ressortir la puissance du croisement des outils numériques avec l’acception que chacun a de la carte, dans une réalisation collective. L’autrice relève que le travail cartographique engagé a permis de distinguer des parts d’inconnus dans un territoire et de mettre en lumière des parcelles qui existaient déjà, mais qui étaient demeurées jusque-là invisibles.A partir de son étude d’une plateforme d’auto-édition, réalisée à partir d’un questionnaire envoyé à 200 auteurs auto-édités, Stéphanie Parmentier estime que cette plateforme ne se limite pas à une fonction de site marchand, mais relève d’un territoire numérique. « Cette association provient de l’identification d’une terre d’accueil, d’une population, d’une gouvernance, de flux d’échanges monétisés et de services spécifiques d’accompagnement des auteurs ».
Sommaire
- Valérie Larroche, Geoffroy Gawin et Emmanuel Brandl : Penser les données par le territoire ?
- Entretien avec Dominique Boullier
- Entretien avec Pierre Musso
- Camille Alloing et Mariannig Le Béchec : La plateforme comme frontière. Suivre l’agencement des territoires numériques
- Emmanuel Ngué Um et Jean-Paul Ndindjock : La dynamique des discours cybernétiques. Point de rencontre entre « territoire numérique » et « communauté discursive » sur les réseaux sociaux ?
- Kaouther Azouz : Des lieux de savoir numériques aux espaces de savoir interconnectés ? Appropriation, territorialité et nouvelles configurations spatiales du web
- Luc Bellier, Henri Bretel et Laurence Gandois : Appréhender le périmètre de recherche à l’université Paris-Saclay. La mise en place de BiblioLabs
- Céline Leclaire : Comment une carte vint au monde. Le schéma numérique 2020 de la BnF ou le numérique au défi de sa représentation
- Stéphanie Parmentier : Les plateformes d’écriture et de publication ou la dilatation contrôlée de territoires numériques
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