La grande majorité des services et les communautés de consommation collaborative, s’appuient assez largement sur des plateformes numériques : celles-ci permettent de connecter les individus entre eux et d’apparier avec efficacité offre et demande.
Ce n’est pas le cas dans les systèmes d’échange locaux (SEL), une forme plus ancienne de consommation collaborative.
Les SEL permettent à leurs membres – les sélistes – de procéder à des échanges de biens, de services et de savoirs.
Le mouvement est né dans le monde anglo-saxon dans les années 1980 avant d’arriver en France au début des années 1990. Il y en aurait actuellement 600 en France. Les échanges sont très variés et peuvent concerner la maison (faire les courses, décoration, nettoyage), les transports (covoiturage, entretien de vélos…), les enfants (soutien scolaire, garde d’enfants…), l’alimentation (aliments biologiques, confitures, recettes…) ou encore la formation (cours d’anglais, de piano, de cuisine…). Les échanges sont médiatisés par une monnaie propre à chaque SEL (le grain de sel, la fleur, etc.). La vie de la communauté est rythmée par des rencontres le plus souvent mensuelles autour d’une Bourse locale d’échange, précédée d’un repas partagé.
Le faible recours au numérique dans le fonctionnement et l’animation des systèmes d’échange locaux constituant probablement un frein à leur développement et à leur appropriation au sein de leur écosystème local, Hélène Privat (Laboratoire d’Économie et de Gestion de l’Ouest, Université Bretagne Sud) et Samuel Guillemot (Laboratoire d’Économie et de Gestion de l’Ouest, Université de Bretagne Occidentale) ont entrepris, à travers une enquête auprès de 23 SEL en Bretagne, d’en comprendre les motifs : « est-ce parce qu’elles n’utilisent pas les outils numériques que ces initiatives ne se développent pas au-delà du cadre local ? Ou au contraire est-ce parce qu’elles sont d’ambitions uniquement locales qu’elles ne perçoivent pas l’intérêt d’utiliser les outils numériques ? »
Le peu d’intérêt pour les outils numériques chez les promoteurs des SEL tiendrait, selon les deux auteurs, à la philosophie des SEL qui repose sur la rencontre physique. « Le SEL est un réseau physique réel, constitué de « vrais » amis qui « accourent » au moindre besoin. La création, le maintien et l’agrandissement de la communauté séliste d’un SEL s’appuient et doit s’appuyer sur les rencontres physiques. Les échanges ne seraient même qu’un prétexte aux rencontres. Créer et développer des liens virtuels apparaissent dès lors superflus »
Hélène Privat et Samuel Guillemot dégagent également une dimension organisationnelle. « Du fait des rencontres fréquentes, l’animation des SEL n’est pas aisée. La taille du réseau ne doit pas être trop importante. La fourchette de 40-60 adhérents est souvent citée comme idéale. Les SEL ne souhaitent d’ailleurs pas un agrandissement de leur communauté à tout prix. Ils considèrent qu’à partir d’un certain nombre de participants, au-delà duquel il faudrait scinder le SEL, il risquerait d’y avoir des difficultés en termes de confiance, de convivialité mais également d’organisation de la vie de la communauté. Dans ce sens, les outils numériques ne sont pas rejetés. Ceux qui utilisent le site Internet ou des outils comme Doodle soulignent leur praticité (gain de temps, meilleure organisation) ».
Un facteur générationnel intervient également, la population séliste étant plutôt âgée.
Le numérique est cependant, selon Hélène Privat et Samuel Guillemot, « un élément nécessaire à la survie du SEL dans un monde plus jeune, connecté, et de concurrence de plateformes numériques similaires en termes d’échanges de services ». Ils rapportent, à cet égard, que « certains SEL bretons, pour dynamiser leurs échanges, ont tout récemment décidé de mettre en commun leurs offres et leurs demandes. Leur catalogue dépasserait alors le local pour s’ouvrir à un territoire plus large … L’idée n’est donc pas de muter, mais de poursuivre son activité et de se faire connaître. En attirant des trentenaires et en les impliquant dans le fonctionnement du SEL, ils y introduiraient alors de manière douce et naturelle de nouveaux outils numériques, au service d’une amélioration du fonctionnement du SEL (échanges et rencontres facilités, réduction du temps consacré à la gestion de l’association) ».
Référence :