« Les objets connectés, communicants, augmentés font rêver depuis de nombreuses années. On a longtemps annoncé « la révolution » qu’allait entrainer dans leur sillage tous ces objets. Si leur nombre ne cesse d’augmenter et leurs usages de se développer, si les objets communicants n’ont de cesse d’envahir notre quotidien, peut-on réellement parler de révolution ? »
Ce numéro de la revue Annales des Mines-Enjeux numériques, coordonné par Anne-Lise Thouroude se propose « de montrer le point de vue et la vision des différentes parties prenantes dans la création de valeur(s) des objets connectés, et ainsi d’ouvrir quelques portes pour éclairer le lecteur sur les évolutions des objets communicants ».
« La valeur intrinsèque des objets communicants serait-elle non pas dans les objets eux-mêmes mais dans le fait qu’ils communiquent, créant ainsi une chaîne de valeur » s’interroge, en introduction, Anne-Lise Thouroude. « En effet, pour que la valeur puisse être créée, il faut non seulement connecter les objets mais en collecter les données, les transporter, les analyser puis les valoriser et les partager. C’est de cet ensemble complet que naissent les applications concrètes et des bénéfices économiques ou sociétaux, autrement dit une création de valeur. La valeur des objets communicants s’articulerait alors autour de trois grands volets : les objets eux-mêmes, la connectivité, et enfin les données et leur traitement ».L'introduction de ce numéro est suivi par un retour sur l’imaginaire de l’Internet des objets (Pierre Musso) et sur l’histoire des objets connectés (Jean-Pierre Corniou).
La première partie du numéro illustre la diversité des usages des objets communicants
Matthieu Hug rappelle comment la traçabilité « bout en bout » apparaît de plus en plus comme le prochain objectif pour les chaînes d’approvisionnement. Vincent Audebert se penche sur l’usage des objets communicants dans le monde de l’électricité « L’évolution des modes de production avec l’éolien et le photovoltaïque qui ajoutent de l’intermittence dans la génération d’électricité renforce l’intérêt pour des solutions à base d'objets connectés ».François Bouchaud et Thomas Vantroy attirent l’attention sur la contribution des objets connectés aux missions judiciaire. « Ces témoins, ancrés et diffus dans nos vies, deviennent peu à peu des sources de renseignements, hissant les traces numériques au niveau des traces biologiques et apportant des informations inédites dans la compréhension des phénomènes favorables aux investigations numériques ».
La seconde partie dresse un tableau des technologies
Marianne Laurent, Alexander Pelov et Laurent Toutain recensent les problématiques liées au manque de support natif des protocoles Internet dans l’Internet des Objets (Iot). Les derniers travaux de standardisation devraient permettre de déployer un IoT interopérable, simple, efficace et évolutif.Cécile Dubarry et Anne-Lise Thouroude font le point sur les enjeux de la 5G pour les objets connectés. Contrairement aux technologies précédentes (LoRa, Sigfox 4G…), la 5G a été conçue dès le départ comme une technologie structurante pour l’Internet des objets (IoT).
Alors que des milliards d’objets connectés sont annoncés sur la planète, seuls 15 % de la surface du globe sont couverts par des réseaux terrestres. La révolution du spatial, les réseaux satellitaires dédiés à l’IoT devraient, selon Alexandre Tisserant, pallier les limites des réseaux terrestres.
François Le Boulch, Fréderic Sutter et David Marty pointent, la contribution des objets connectés (et des masses de données qu’ils permettent de recueillir) à l’écosystème aéronautique « pour optimiser le design, la fabrication et l’exploitation des avions en vol et au sol ».
La troisième partie (L’Internet des objets personnels : un oxymore ?) ouvre une réflexion sur les enjeux sociétaux que posent les objets connectés
Martin Bieri propose un tour d’horizon du fonctionnement d’un assistant vocal, des acteurs qui composent sa chaîne de valeur et des enjeux autour des données personnelles. « si les assistants vocaux sont présentés avec l’objectif de simplifier la vie des individus, la manière dont ils fonctionnent reste cependant obscure pour les utilisateurs ».Dans « le mythe de la smart city écologique », Philippe Bihouix interroge « la vision idyllique d’une gestion technologique et ultra optimisée des smart cities » et explore les nombreux écueils auxquelles elle se heurte : consommation de ressources, enjeux environnementaux, inertie de déploiement, effet rebond, résilience.
Pour mieux comprendre les enjeux éthiques liés aux objets communicants personnels Christine Balagué propose une taxonomie des objets communicants, souligne l’importance de la prise en compte des utilisateurs en plus des fonctionnalités techniques. Après avoir présenté les risques liés à la collecte massive des données combinée à la 5G, à leur qualité, à la sécurité des systèmes ainsi que les enjeux éthiques des traitements algorithmiques, Christine Balagué conclut à la nécessité de développer une réelle valeur d’usage et des objets connectés responsables en termes d’impact environnemental et sociétal.
« Menace évidente pour la vie privée, ces systèmes de traçage cyberphysique sont invisibles et enregistrent des données sans le consentement des personnes ». Mathieu Cunche présente les principes généraux des systèmes de traçage cyberphysique et les solutions envisagées pour protéger la vie privée des personnes.
Pour les États, les objets communicants soulèvent plusieurs enjeux pour l’exercice de leur souveraineté et de leurs prérogatives régaliennes : sécurité nationale, maîtrise des données, etc. Prenant l’exemple de la sonnette connectée de la société Amazon, Didier Danet et Alix Desforges s’attachent à montrer comment le changement quantitatif d’échelle et l’insertion des objets communicants accentuent encore ces enjeux de souveraineté.
« Finalement, pourquoi connectons-nous les objets ? Si la révolution annoncée n’a jamais réellement eu lieu, le changement est-il en cours ? Avons-nous besoin de ces objets ? », s’interrogeait, dans son introduction, Anne-Lise Thouroude.- « Sommes-nous réellement en capacité de traiter toutes les données qu’ils communiquent ? Ces données peuvent elles nous échapper ?
- La productivité est-elle réellement améliorée par la multiplication des objets communicants ? Peut-on perdre le contrôle de nos systèmes ?
- Devons-nous foncer tête baissée dans ce monde hyperconnecté où même nos frigos doivent l’être ?
- Jusqu’où irons-nous dans cette société où l’information en temps réel est devenue le Graal ? ».
Sommaire
- Anne-Lise Thouroude : Introduction
- Pierre Musso : L’imaginaire de l’Internet des objets
- Jean-Pierre Corniou : L’histoire des objets connectés
- Matthieu Hug : La traçabilité
- Vincent Audebert : L'usage des objets communicants dans le monde des entreprises électriques
- François Bouchaud et Thomas Vantroys : Les objets connectés dans les missions judiciaires
- Marianne Laurent, Alexander Pelov et Laurent Toutain : Les protocoles de l’Internet au service de l’interopérabilité de l’Internet des objets
- Cécile Dubarry et Anne-Lise Thouroude : Les enjeux de la 5G pour les objets connectés
- Derek Wallace: Use unlicensed LPWANs for cost-effective & secure massive industrial IoT
- Alexandre Tisserant : La révolution du spatial ou la communication des objets partout dans le monde
- François Le Boulch, Frédéric Sutter et David Marty: Skywise, pour la maintenance prédictive et au-delà…
- Martin Bieri : Où vont nos données ? L’exemple des assistants vocaux
- Philippe Bihouix : Le mythe de la smart city écologique
- Christine Balagué : Les enjeux éthiques des objets communicants personnels
- Mathieu Cunche : Le traçage cyberphysique des personnes et la vie privée
- Didier Danet et Alix Desforges : Les enjeux de souveraineté des objets communicants
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