En 2018, dans le cadre du Labo « Numérique et inclusion », mis en place par l’Agence Nouvelle des Solidarités Actives (Ansa) et la Fondation Sopra Steria, les participants s’étaient accordés sur l’importance de ne pas limiter la problématique de l’inclusion numérique à celle de l’accès aux services numériques mais de l'élargir aux capacités d’usage.
Trois ans plus tard, la Fondation Sopra Steria et l’Ansa ont entrepris de comprendre si la problématique avait évolué ? Quelles ont été les réussites, et quels obstacles demeurent pour que la société numérique soit pleinement inclusive ?
Entre temps, la crise sanitaire de la Covid-19 a mis en lumière les inégalités sociales et territoriales d’accès au numérique : fermeture des accueils physiques de certains services publics et difficulté accrue d’accès à une aide ou un accompagnement social.
Le Livre Blanc « Numérique et fragilités humaines » revient, sur l’ambivalence du numérique dans le contexte de la crise sanitaire : « facilitateur de lien pour les uns et révélateur de l’exclusion pour les autres ».
« La fermeture des accueils au public a pu entraîner des ruptures de droits et peser sur les ressources financières des personnes. Le passage forcé à un accès dématérialisé aux services a ajouté une difficulté supplémentaire pour les publics ne maîtrisant pas les outils numériques, comme certaines personnes âgées, ou bien les parents dans l’accompagnement à la scolarité à distance de leurs enfants ».En s’appuyant sur un sondage réalisé auprès d’intervenants sociaux et de médiateurs numériques (335 réponses), le Livre Blanc retrace la manière dont les intervenants sociaux, qu’ils soient bénévoles ou professionnels, ont fait face à la crise sanitaire, tant dans leur vie privée que dans leurs activités (fermeture des accueils physiques).
- 84 % des participants au sondage estiment qu’être en difficulté avec le numérique a renforcé le risque de précarisation des personnes pendant la crise sanitaire. Les auteurs de l’étude ajoutent, toutefois, « que la crise sanitaire a eu un effet d’accélérateur des usages numériques pour une partie de la population, même précaire : ceux qui étaient déjà à l’aise avec le numérique ont ainsi pu maintenir des liens sociaux (messageries instantanées, visioconférences, réseaux sociaux) ou trouver des bons plans et de l’aide ».
- 73 % des participants au sondage estiment que la crise sanitaire a renforcé la place du numérique dans l’accompagnement des publics les plus précaires.
- 83 % déclarent avoir eu à accompagner des publics en difficulté avec le numérique : des publics déjà connus (mais plus nombreux, qui ont eu besoin de demander plus d’aide : personnes âgées, jeunes, familles, personnes en difficulté avec le numérique ou personnes en situation de handicap), mais aussi de nouveaux publics
- 43 % affirment avoir accompagné des publics qui n’avaient jusqu’alors pas l’habitude de s’adresser aux services ou de solliciter leur aide.
- Les intervenants sociaux pour lesquels l’activité s’est arrêtée avec la fermeture de leur lieu de travail, notamment, les bénévoles des associations ;
- Les intervenants sociaux professionnels, qui ont dû télétravailler et adapter leurs pratiques professionnelles à ce nouveau contexte en distanciel ;
- Les intervenants sociaux qui ont été actifs sur le terrain, dans les accueils ou services restés ouverts malgré le contexte de crise sanitaire.
La deuxième situation a eu pour conséquence l’augmentation du rôle du numérique dans les activités des intervenants sociaux. « Le télétravail est peu ancré dans la pratique des intervenants sociaux, fondée sur la relation d’aide et d’accompagnement direct. Avec sa généralisation, certains professionnels se sont retrouvés en difficulté pour réaliser leur mission, faute d’outils adaptés et/ou de maîtrise des outils, générant un manque de motivation et d’énergie ».
Cette généralisation du télétravail a toutefois « accéléré l’appropriation du numérique et l’émergence, pour certains, de nouvelles pratiques professionnelles, concomitante à celle de pratiques privées : réunions en visioconférence avec les équipes (ou ses proches), visites à domicile virtuelles avec les familles accompagnées, etc. Ainsi, de nouvelles formes d’accompagnement ont pu émerger grâce à la force d’innovation des intervenants sociaux ».
Référence :
Une cartographie des freins possibles dans l’accès et l’utilisation de services numériques
Pour comprendre les freins que pose le numérique dans l’accès aux services, l’Ansa a mis au point un outil cartographique qui présente à la fois les freins que peuvent rencontrer les personnes en difficulté avec le numérique, et les solutions identifiées pour y répondre.
L’objectif de l’outil est de rappeler de manière simple et intuitive les points de vigilance lorsqu’on élabore un outil numérique et un service, qu’il soit public, social ou marchand.
Les participants aux travaux de l’ANSA ont relevé une série de points bloquants et de défis à relever pour les techniciens et ingénieurs informatiques, les pouvoirs publics, les intervenants sociaux, les organismes et collectivités, les médiateurs numériques :
- Pas d’accès back office pour les aidants : les professionnels ne peuvent résoudre les difficultés rencontrées par les personnes, faute d’accès à autre chose que l’interface usager.
- Défi logistique de l’aide alimentaire : coordination, gestion des stocks et des flux, etc.
- Domiciliation : des solutions numériques existent, mais il y a un manque d’harmonie.
- Remontées statistiques : simplifier les remontées statistiques, omniprésentes dans le champ de l’intervention sociale, chronophages, et qui détournent les intervenants de l’accompagnement.
- Coordination de parcours : permettre le suivi des personnes entre différentes institutions, avec une interopérabilité des systèmes existants.
Cinq propositions pour un numérique au service de tous
En accord avec les propositions formulées par le Haut conseil du travail social et l’enjeu de création d’un « service universel numérique » pour garantir l’accès aux droits et la lutte contre le non-recours, l'étude rassemble 5 préconisations :- Concevoir les solutions numériques avec les experts d’usage en garantissant la participation effective des utilisateurs finaux, et en renforçant la participation des acteurs de la médiation numérique, professionnels de l’accompagnement social et intervenants sociaux.
- Prendre en compte la diversité des situations des personnes en développant des services numériques orientés « solutions », en personnalisant l’offre de services, adaptée à chaque situation et à son évolution, et en prenant en compte le temps d’appropriation du service numérique par les utilisateurs.
- Développer des services numériques facilement appropriables et à visée « capacitante » pour les futurs utilisateurs en privilégiant des approches souples et ludiques, en s’inspirant des solutions expérimentées à des fins de lien social et de solidarité, des solutions numériques « grand public » mais aussi des approches héritées de l’UX design.
- Simplifier le parcours utilisateur en garantissant le principe du « Dites-le nous une fois » (DLNUF), en prévoyant des solutions audio et en langue étrangère pour faciliter les usages numériques de tous les publics, en utilisant un langage Facile à lire et à comprendre (FALC) et en adoptant une charte graphique « universelle » pour développer une grammaire partagée du numérique.
- Accompagner les professionnels de l’action sociale et intervenants de la médiation numérique en les outillant et en les formant aux usages numériques, en mobilisant les plateformes de service et leurs concepteurs dans la formation des professionnels et en créant des liens durables entre médiation numérique et intervenants sociaux.