Avec « Métiers en 2030 », France Stratégie et la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du Ministère du travail et de l'emploi) dressent un panorama chiffré des perspectives des métiers à l’horizon 2030.Cet exercice de prospective tente de répondre à trois séries de questions : Les auteur.trice.s de « Métiers en 2030 » s’appuient sur un scénario macroéconomique de référence issu d’une modélisation sectorielle de l’économie. Suite à la crise sanitaire, ils intègrent également un recours persistant au télétravail.Combien d’emplois seront créés dans les différents métiers ?Quels seront les besoins de recrutement des entreprises compte tenu par ailleurs des départs en fin de carrière ?Quels déséquilibres potentiels peut-on anticiper si, pour chaque métier, rien n’est fait pour corriger l’écart entre les besoins de recrutement des employeurs et le flux de jeunes sortant de formation initiale ?Au total, dans le scénario de référence retenu, 1 million d’emplois seraient créés entre 2019 et 2030.Les auteur.trice.s abordent successivement l’impact de ce scénario (et de ses diverses variantes) sur les créations d’emplois par secteurs d’activité, par métiers, la dynamique des besoins de recrutements et les déséquilibres potentiels.En matière de création d’emplois nette, les auteur.trice.s de « Métiers en 2030 » anticipent la création de 115 000 emplois d'ingénieur.e.s informatiques en 2030, soit + 26% par rapport à 2019.Forte progression du secteur des services numériquesSelon ces projections, ce sont les secteurs de services qui assurent d’ici 2030 l’essentiel de la croissance de l’emploi. « Ce poids des services traduit la place importante dans l’emploi, d’une part des services aux entreprises, d’autre part des services d’utilité collective soutenus par la socialisation des dépenses d’éducation, de santé et d’action sociale ».Deux secteurs, les services de prestations externalisées aux entreprises (conseil, activités juridiques, comptables, scientifiques et techniques, recherche et développement, sécurité, fourniture de main-d’œuvre, etc.) et les services numériques (activités informatiques, télécommunications, audiovisuel) « seraient les plus créateurs d’emplois en projection, avec 600 000 emplois supplémentaires entre 2019 et 2030 dans le scénario de référence. Dépendants de la dynamique des entreprises qui externalisent à leur profit des fonctions d’appui transversales, ces secteurs bénéficient également de l’adaptation permanente des organisations et des processus productifs aux changements technologiques, à la transition énergétique et aux mutations sociétales ou réglementaires ».La numérisation des autres secteurs d’activité contribue à stabiliser la création d'emplois, voire à réduire leur nombre.Dans le secteur de la construction , « le développement de la conception/rénovation numérique (ou BIM pour Building Information Modeling) et celui de la fabrication de certains composants en usine (filière dite « sèche ») réduisent la durée des chantiers et rendent plus efficaces les interventions successives sur un projet de construction. L’emploi – majoritairement peu qualifié – devrait par conséquent croître substantiellement, mais à un rythme plus faible que l’activité ».« Avec l’essor du e-commerce, l’automatisation des processus de vente (caisses, gestion des stocks, voire service après-vente via les chatbots) et la concentration des enseignes, des plateformes logistiques et des centrales d’achat », le secteur du commerce verrait son emploi se stabiliser.L’emploi continuerait de se replier dans les industries de basse technologie (à faible intensité en R&D) très concurrencées par les pays émergents. « La maintenance industrielle – plus préservée de la concurrence internationale – serait, quant à elle, confrontée à d’importants gains de productivité liés à la diffusion des innovations numériques. La maintenance prédictive assistée par ordinateur, qui permet de prévenir les pannes et d’optimiser la durée de vie des équipements, nécessite moins d’interventions : 30 000 emplois seraient perdus dans ces activités dans la décennie à venir ».« Confrontés à un fort risque d’automatisation de ses process (robots dans les entrepôts, possible développement des voitures autonomes) », le secteur transport-entreposage (logistique) verrait son nombre d’emplois se réduire en projection « a contrario de ce que l’on observait jusqu’à présent ».Le secteur bancaire et assurantiel enregistrerait pour la première fois depuis vingt ans des réductions d’emplois substantielles (-12 % de 2019 à 2030). « La numérisation des services et de leurs usages (consultation et souscription en ligne) devrait conduire à une accélération de la fermeture d’agences. Les investissements continus de ce secteur, en particulier dans le cloud mais également dans des technologies plus spécifiques comme l’intelligence artificielle, seraient susceptibles d’accélérer les gains de productivité et donc d’amplifier les destructions d’emplois. Ils pourraient en effet rendre la gestion des services bancaires et assurantiels plus efficace et automatiser les processus de production de certains services (tarification, trading, vérification des comptes et des transactions), avec pour corollaire des réductions d’emplois à tous les niveaux de qualification (conseillers clientèle, back-office, audit, services juridiques) ».En outre, « la concurrence d’acteurs financiers ou venus des technologies numériques – y compris des GAFA sur les moyens de paiements – et la hausse des coûts de gestion, alors même que la rentabilité est fortement entamée par des taux d’intérêt bas, devraient relancer les rapprochements, entraînant des restructurations défavorables à l’emploi ».Des créations d’emplois qui profiteraient surtout aux diplômé.e.s du supérieurLes créations d’emplois sont globalement favorables aux diplômé.e.s de l’enseignement supérieur qui représenteraient près d’un emploi sur deux en 2030, soit 47 % du total contre 43 % aujourd’hui. « Entre 2019 et 2030, 1,8 million d’emplois exercés par des diplômés du supérieur seraient créés, alors que les emplois occupés par les moins diplômés – ceux qui n’ont pas dépassé le baccalauréat – diminueraient de près de 800 000 ».Cette évolution, accentuée par la pénétration numérique, favorise dès lors une montée en compétences qu’accompagne l’élévation du niveau de diplôme des actifs. Dans le secteur du commerce, par exemple, entre 2019 et 2030, près de 280 000 emplois exercés par des diplômé.e.s du supérieur se substitueraient à des emplois occupés par des moins diplômé.e.s.Les ingénieurs informatiques en forte croissance« La période 2019-2030 devrait être marquée par la poursuite, à un rythme ralenti, du repli de l’emploi dans les métiers agricoles, un redressement de l’emploi des métiers industriels et un développement continu des métiers du commerce, de la construction et des services, notamment de la santé et des services aux personnes, alors que les emplois administratifs de la fonction publique et ceux de secrétaires poursuivraient leur déclin ».Les métiers les plus qualifiés de services aux entreprises seront en forte croissance. « C’est en particulier le cas des ingénieurs informatiques et des personnels d’études et de recherche qui accompagnent les changements technologiques et qui ont déjà créé beaucoup d’emplois dans la décennie passée ».Leur progression résulte non seulement de la dynamique propre à ces secteurs et de la performance globale de l’économie « mais aussi d’une demande spécifique pour ces professionnels, dans le contexte d’une transformation numérique, accentuée par l’intensification du télétravail : communication collaborative, virtualisation ».Dans les métiers du droit, « la numérisation devrait être plutôt complémentaire de l’emploi : les outils numériques renforcent l’efficacité de leur action (sélection des meilleures décisions juridiques) plus qu’ils ne se substituent à leurs activités, où l’intervention humaine (par la plaidoirie) et la relation interpersonnelle (avec les clients) restent déterminantes ».L’emploi des métiers de l’industrie devrait progresser en projection, de l’ordre de 45 000 postes supplémentaires à l’horizon 2030. « Cette croissance de l’emploi des métiers industriels inverserait la tendance baissière de la décennie précédente (170 000 postes de métiers industriels détruits entre 2009 et 2019) ».Dans les fonctions administratives et de soutien, l’emploi continuerait à se comprimer. « Ce repli de l’emploi renvoie à deux tendances lourdes déjà à l’œuvre : le développement continu des technologies numériques et la rationalisation de l’organisation du travail. L’emploi des professionnels de la banque et des assurances est également orienté à la baisse, les contraintes pesant sur la rentabilité du secteur conduisant à accélérer les mutations liées à la transition numérique».Des métiers qui recrutent de plus en plus de diplômé.e.s du supérieurL’élévation tendancielle du niveau d’éducation de la population et l’évolution des tâches s’accompagnent d’une montée en qualification des postes dans l’économie. « Cette augmentation de la part des diplômés du supérieur touche l’ensemble des secteurs comme des métiers. Pour un métier donné, l’évolution de l’emploi va donc résulter pour partie de cette augmentation générale du niveau de diplôme ».Les métiers les plus créateurs d’emplois occupés par des diplômé.e.s du supérieur dans la décennie à venir recrutent déjà majoritairement des personnels de niveau universitaire : « une tendance qui devrait s’accentuer à l’avenir ».La création d’emplois exercés par des diplômés du supérieur serait ainsi particulièrement forte chez les cadres commerciaux et technico-commerciaux, les professions liées aux services administratifs, comptables et financiers, à la fois pour les cadres et les techniciens.Les ingénieur.e.s de l’informatique devraient accueillir 115 000 diplômé.e.s du supérieur en plus d’ici 2030, qui formeraient alors 96 % des effectifs du métier.Quels besoins de recrutement par métiers ?Parmi les quinze métiers comptant le plus de postes à pourvoir, « Métiers 2030 » distingue trois catégories.La première comprend les métiers qui créeraient peu ou pas d’emplois, les postes à pourvoir correspondant donc surtout aux remplacements des départs en fin en carrière : c’est le cas des agents d’entretien, des enseignants, des conducteurs de véhicules et des vendeurs.La deuxième catégorie regroupe les métiers où les créations d’emplois contribueraient pour au moins un quart aux postes à pourvoir : c’est vrai pour les cadres administratifs, comptables et financiers, les cadres commerciaux et technico-commerciaux, les aides à domicile, les aides-soignants, les infirmiers, les sages-femmes, les ouvriers qualifiés de la manutention, les médecins et les techniciens de la maintenance.La troisième catégorie, enfin, est constituée des ingénieur.e.s de l’informatique et des ingénieurs et cadres techniques de l’industrie. « Ces professions se distinguent par leurs créations nettes d’emplois qui représenteraient au moins la moitié des postes à pourvoir. Ce sont des métiers relativement jeunes qui conjuguent un fort dynamisme de l’emploi et de faibles départs en fin de carrière (46 % seulement de postes à pourvoir) ».Tension sur les recrutements des ingénieur.e.s en informatique en 2030Entre 2019 et 2030, 640 000 jeunes s’inséreraient dans l’emploi chaque année. Les besoins de recrutement par métiers présentés précédemment seraient en partie satisfaits par de jeunes débutant.e.s s’insérant dans l’emploi. Selon les projections du ministère de l’Éducation nationale, entre 2019 et 2030, 754 000 jeunes finiront leurs études chaque année.Chez les enseignant.e.s, les ingénieur.e.s et cadres techniques de l’industrie ainsi que les ingénieur.e.s de l’informatique, les jeunes débutant.e.s combleraient plus des trois quarts des besoins de recrutement.Les postes à pourvoir parmi les ingénieur.e.s de l’informatique (comme les ingénieur.e.s et cadres de l’industrie) ne seraient pas intégralement comblés par l’afflux de jeunes débutant.e.s.Les auteurs de « Métiers 2030 » dressent une typologie des métiers : « Les métiers que l’on peut qualifier d’attractifs cumulent des départs de seniors moins élevés que la moyenne et des jeunes débutants nombreux. Ces métiers sont attractifs pour les jeunes et les professionnels déjà en poste, et fortement créateurs d’emploi en projection comme ils l’ont été par le passé ». C’est notamment le cas des ingénieurs de l’informatique..ceux que l’on peut qualifier d’attractifs car les jeunes comme les professionnels venus d’autres métiers se tournent vers eux ;les métiers de première expérience qui constituent un tremplin vers une autre profession ;les métiers de seconde partie de carrière ;les métiers qui ont du mal à attirer.D’ici 2030, « ce métier accueillerait davantage de jeunes débutant en emploi qu’il ne verrait de seniors cesser leur activité. Compte tenu du déséquilibre potentiel projeté en 2030, ce métier pourrait voir ses difficultés de recrutement s’accentuer ».