L’économie collaborative et le développement de plateformes d’échanges ont conduit à la diffusion de nouvelles pratiques de consommation, de production et de financement. Les travaux, le débat public et les démarches de régulation portent principalement sur les activités qui mettent en relation des professionnel.le.s avec des particuliers (comme les taxis ou les livreurs) ou des particuliers entre eux (comme le partage d’appartements).
L'Institut de recherches économiques et sociales (IRES) attire l’attention sur le développement de plateformes qui mettent en relation des professionnel.le.s avec des entreprises clientes. Selon l’IRES, « les plateformes B2B du travail portent l’une des prochaines vagues de plateformisation ».
Les métiers de prestation intellectuelle (informatique, marketing, communication, conseil, design) sont particulièrement sensibles aux effets des plateformes et aux nouveaux modèles organisationnels permis par le numérique.
« Ces nouveaux intermédiaires de compétences sont susceptibles d’occuper une place grandissante à même de venir concurrencer les acteurs traditionnels du type intérim, Entreprises de Services du Numérique (ESN, ou encore SSII), de déboucher sur une phase inédite d’externalisation, de contribuer à brouiller les frontières des organisations et de l’entreprise ».Plusieurs facteurs se conjuguent pour favoriser le développement de ces « intermédiaires de compétences » : la technologie, la demande de travail via l’externalisation et le recours à la sous-traitance, l’offre de travail avec la demande sociale d’autonomie.
Après avoir pointé un « déficit de connaissance patent », qu’il s’agisse des effectifs concernés, des acteurs opérant en France, ou encore des volumes d’affaires concernés, les chercheur.euse.s de l’IRES alertent les pouvoirs publics « sur les incohérences, non-dits et difficultés à appréhender la taille du marché des intermédiaires B2B du travail » ainsi que sur les difficultés à appréhender les conditions de travail de ces travailleurs, « souvent invisibles et géographiquement disséminés ».
En l’absence de « typologie arrêtée de ces acteurs dans la littérature », l’IRES propose distinguer quatre types intermédiaires :
- les plateformes spécialistes liées à des acteurs historiques de l’intermédiation du travail (en particulier déployés ou rachetés par des acteurs du travail temporaire), ou positionnées très en avance sur le « marché » des freelances, avant même que les développements technologiques permettent le déploiement des plateformes ;
- les « plateformes start-up » des métiers de l’intermédiation, regroupant des acteurs plus récents, positionnés d’emblée comme des acteurs « nativement numériques » ;
- les intermédiaires collectifs regroupant au sein d’une même catégorie les indépendant.e.s rassemblé.e.s au sein de collectifs et les acteurs organisés sous format coopératif (en CAE ou non) ;
- Les « intermédiaires conseils » regroupant des collectifs de freelances de haut niveau d’expertise (« les « premium talents », très souvent créés par des anciens du conseil en stratégie, souvent de petite taille »).
- Intermédiation : place de marché, mise en relation, fidélisation, sécurisation de la relation contractuelle, mécanismes de construction de la réputation, notation, certification des compétences, gestion des conflits et médiation …
- Fonctionnalités orientées « client » : sécurisation de la sélection des profils et du sourcing, sélection des profils et des compétences pour répondre au mieux au cahier des charges, constitution d’équipes projet, solutions de gestion administrative des freelances, fonctionnalités ressources humaines…
- Fonctionnalités orientées « freelances/travailleurs » : mise en visibilité, annuaires de compétences, ciblage des métiers, exploitation des réseaux professionnels, monétisation de la marque, sécuriser des revenus des travailleurs, montée en compétences, formation, Portage administratif, facilités de paiement …
Concurrence avec les acteurs traditionnels
Bien que le marché des intermédiaires de travail B2B soit relativement récent, les acteurs étant pour l’essentiel apparus au milieu des années 2010, celui-ci donne déjà lieu à des phénomènes de concurrence dans plusieurs dimensions.« Les intermédiaires plateformes se sont originellement positionnés sur des métiers exercés par des indépendants, notamment les métiers liés au Web (designer Web par exemple) ou encore à la communication (création graphique, rédacteurs Web). Plus récemment, le freelancing est apparu comme permettant à des salariés d’échapper à des modes organisationnels de moins en moins attractifs (métiers de l’IT notamment) ».Sur les métiers numériques, les intermédiaires B2B (les start-ups aussi bien que les plateformes spécialisées ou les intermédiaires collectifs) sont en concurrence directe avec les Entreprises de services numériques (ESN) pour attirer les professionnel.le.s du numérique. « Ce phénomène touche en particulier les jeunes qui voient dans les plateformes, à tort ou à raison, une réponse à un besoin de liberté et surtout la possibilité de développer un courant de revenus supérieur sans devoir dépendre d’un employeur ».
Vers l’émergence de super-intermédiaires de compétences
Comme souvent, s’agissant de marchés en croissance et connaissant une multiplication du nombre de ses acteurs, « la question de leur rationalisation pour des raisons de coût et d’efficacité opérationnelle émerge . Dans ces conditions, il est probable que le marché des plateformes d’intermédiation de freelances soit soumis à un processus identique avec l’émergence de « super intermédiaires » venant se placer entre les clients utilisateurs et les intermédiaires plateformes. À l’instar de ce qui a été observé sur le marché de l’intérim, ces derniers étant à même de centraliser les achats de prestations de freelancing en un point unique pour le compte d’un ou plusieurs clients utilisateurs ».Outre la probable exclusion des collectifs et coopératives de freelances, « l’apparition de ces super-intermédiaires aura un impact notable sur la concentration du marché et la rentabilité de ces acteurs ».
Des travailleurs créatifs soumis au diktat de la visibilité et de la réputation
« Les défenseurs des plateformes mettent en avant les opportunités de travail qui sont offertes à des travailleurs, notamment créatifs, ou encore l’ouverture de l’offre à des personnes plus éloignées des formes traditionnelles d’emploi, dans un contexte de chômage de masse ».Les auteurs de l’étude soulignent, toutefois, l’importance cruciale de la visibilité et de la réputation : « dans un univers régi par le référencement tant dans les moteurs de recherche que dans les algorithmes des plateformes, la visibilité est un moyen essentiel pour obtenir des clients et une rémunération qui fasse vivre. Pour le freelance référencé sur une plateforme, cela va nécessiter un investissement important pour être visible parmi les profils référencés, et donc se plier aux exigences posées par l’algorithme ». En outre, « si le freelance doit construire longuement sa réputation, la moindre erreur, un clic et une mauvaise note d’un client mécontent suffit à annihiler ses efforts, dégrader sa notation, voire être désinscrit ».
Les auteur.trice.s de l’étude pointent, en conclusion, « de fortes attentes en matière de régulation ». Elles portent sur la dimension juridique et contractuelle du travail, sur la sécurisation des travailleur.euse.s, sur la négociation collective et sur l’outillage des acteurs.
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