Surcharge informationnelle, infobésité, syndrome de saturation cognitive… L'Observatoire Société et Consommation (L'ObSoCo), Arte et la Fondation Jean-Jaurès ont mené une enquête pour comprendre les effets que produisent sur les individus la multiplication des canaux d’information, leur profusion et leur transformation dans la façon de les produire. Ils ont soumis un échantillon de Français.es à un questionnement détaillé destiné à saisir à la fois leur difficulté à trier l’information et leur degré ressenti de stress et de fatigue face à son flux.
De profonds bouleversements des pratiques informationnelles
Pour une majorité de Français.es, il est important de s’informer régulièrement dans les médias (59%). Pour un Français sur cinq, c’est même « très » important (20%). Pour autant, les façons de le faire ont considérablement changé en une poignée d’années.
Aujourd’hui, pour s’informer, ils utilisent en effet en moyenne 8,3 canaux différents et 3,2 quotidiennement. Trois canaux dominent : le journal télévisé de 13 heures ou 20 heures (89% s’informent en général par son intermédiaire), les réseaux sociaux (83%) et la radio (82%). Auxquels il convient d’ajouter les usages non négligeables de formats parmi les plus récents que sont par exemple les podcasts, médias indépendants ou alternatifs.
Au total et si l’on agrège l’importance qui lui est accordée, l’intensité de la consultation des médias, mais aussi les pratiques actives, 29% des Français témoignent d’un engagement fort dans la consommation d’informations, 49% d’un engagement moyen, 22% d’un engagement faible.
35% des Français.es admettent devoir faire des efforts pour s’informer correctement
Dans ce contexte de fragmentation et multiplication des usages, 35% des Français.es admettent devoir faire des efforts pour s’informer correctement, dont un sur dix « beaucoup » d’efforts. Une difficulté davantage éprouvée par les plus jeunes (48%) et ceux qui tiennent à s’informer régulièrement (49%).
53% des Français.e.s souffriraient de « fatigue informationnelle »
De l’agrégation statistique des réponses à cette enquête, il ressort que 53% des Français.es disent souffrir de fatigue informationnelle, dont 38% – plus d’un tiers donc ! – en souffrent « beaucoup ». À l’inverse, 19% déclarent être « peu » et 28% « pas du tout fatigués ».
En moyenne, rien ne semble fondamentalement distinguer les plus fatigué.e.s du reste de la population. Leurs usages apparaissent sensiblement similaires aux autres. Ils/elles consultent à peine plus de médias (8,6 pour 8,3 au total), sont légèrement plus habitué.e.s aux réseaux sociaux (65% pour 61% de l’ensemble) et aux médias numériques en général.
Les plus fatigué.e.s sont, en revanche, plus actifs dans leur rapport à l’information : 48% la partagent (pour 40% de l’ensemble), 34% la commentent en ligne (pour 29%), 9% envoient des courriers aux animateurs ou appellent des émissions de radio (6%).
Cinq profils
Une analyse statistique complémentaire permet de dégager cinq profils. Ceux-ci se distinguent à la fois par leur engagement dans la consommation d’information et par le degré de fatigue informationnelle qu’ils disent éprouver.
- Les « hyperconnectés épuisés » (17% de la population): « Ce profil regroupe surtout des jeunes, urbains et diplômés ayant une forte consommation médiatique, notamment via internet et les réseaux sociaux où ils sont relativement actifs. Ils se démarquent aussi par des pratiques très intenses, voire compulsives vis-à-vis de l’information et sont fortement touchés par la fatigue informationnelle. »
- Les « défiants oppressés » (35% de la population) : « Ce profil est plutôt féminin avec un niveau de vie modeste et un engagement moyen dans l’information, mais avec le sentiment de la subir, d’avoir du mal à se faire une opinion, de se sentir dépassé par l’information. Très affectées par cette situation, les personnes de ce groupe sont souvent en recherche d’alternatives (fact-checking). Elles ressentent une fatigue informationnelle intense et se distinguent aussi par une défiance très forte vis-à-vis des médias ».
- Les « hyperinformés en contrôle » (11% de la population): « Plus âgé, plutôt masculin, ce profil rassemble des personnes souvent retraitées et aisées ayant une pratique informationnelle intense, notamment de médias traditionnels, très en contrôle et non exposées à la fatigue ».
- Les « défiants distants » (18% de la population): « Ce profil est plutôt masculin, davantage issu de catégories modestes et a un engagement assez moyen dans les pratiques d’information. Les individus qui en sont issus expriment une forte défiance vis-à-vis des médias comme du politique, mais une assez forte confiance en eux-mêmes. Ils sont très négatifs sur la situation collective (le monde, la société, la démocratie), ont un fort sentiment d’impuissance et l’impression de subir, de ne pas avoir la liberté et le contrôle sur leur avenir ».
- Les ne sait pas/non concernés (20% de la population) : « Habitants du périurbain et des communes peu denses, ce sont des actifs occupés d’âge intermédiaire avec enfants. Ils consomment peu d’informations. Ils ne sont ni engagés dans la recherche d’information, ni impactés par une forme de fatigue à cet égard. Ils mènent leur vie et en sont relativement satisfaits. Ils ne sont pas du tout intéressés par la politique, ne se sentent pas représentés sans être pour autant défiants ».
Entre stratégies de protection...
Face au flux d’information, des stratégies de protection commencent à se mettre en place sur le plan individuel. Ainsi, 53% des Français.es disent qu’il/elle leur arrive de désactiver les notifications de leur téléphone portable, dont plus d’un quart (27%) régulièrement. En outre, 30% se forcent parfois à ne pas allumer la télévision, 27% surveillent leur temps d’écran. Autre façon de reprendre le contrôle : 12% déclarent consulter des sites de fact-checking. Chacune de ces stratégies est d’ailleurs davantage pratiquée par les plus fatigué.e.s.
…et risque de retrait
Plus impressionnant, car plus radical et plus massif : 77% de Français.es déclarent qu’il/elle leur arrive de limiter ou de cesser de consulter les informations, dont 28% régulièrement. Et c’est le cas de 90% des plus fatigué.e.s.
Ce retrait est motivé avant tout par des débats qu’ils/elles jugent trop polémiques et agressifs (34%), le manque de fiabilité des informations (32%) et l’impact négatif sur leur humeur ou leur moral (31%). Le manque d’intérêt n’intervient qu’ensuite (25%), de même que le temps que cela prend (14%). « Il est intéressant aussi de constater que, pour 16% de ceux qui lâchent, le fait que les médias ne rendent pas compte de ce qu’ils vivent et de leurs opinions joue un rôle ».
Un enjeu démocratique
Cette fatigue informationnelle, à laquelle un.e Français.e sur deux est exposé.e, « contribue, à étouffer les processus critiques et intellectuels. Elle peut aussi engendrer des processus de recherche à tout prix d’informations alternatives, mais aussi et surtout la sensation de ne plus rien comprendre à rien, ainsi que le risque de tout bonnement renoncer à s’informer ». En ce sens, cette fatigue informationnelle résulte mais contribue aussi à nourrir la fatigue démocratique des Français.es, analysée dans de nombreuses études.
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