Le Conseil d’État vient de consacrer son étude annuelle à la citoyenneté : « être (un) citoyen aujourd’hui ».
Le Conseil d’État y analyse les évolutions du statut du citoyen ébranlé par la crise de confiance dont souffre le système représentatif, par la persistance d’inégalités et par une perception brouillée des devoirs inhérents à la vie civique : il s’attache également à analyser « les formes rénovées d’expression de la citoyenneté ».
Trois phénomènes illustrent, selon le Conseil d’État cette évolution.
- Le premier est la construction progressive d’une citoyenneté de l’engagement. La vitalité du service civique, de l’engagement associatif et de l’ensemble de l’économie sociale et solidaire montrent que l’engagement au service de causes d’intérêt général est vécu comme un enrichissement des parcours individuels, permettant de recréer du lien collectif.
- Le deuxième phénomène est la consolidation d’expressions numériques de la citoyenneté. Le numérique est en effet regardé par beaucoup comme une source potentielle d’enrichissement de la citoyenneté ; c’est ce que traduit notamment le mouvement des « civic techs ». Ce dernier exprime un engouement pour des formes de démocratie plus participative, complétant, sans chercher à l’évincer, la démocratie représentative.
- La « citoyenneté d’administrative », enfin, qui s’exerce au travers des droits spécifiques reconnus aux citoyens dans leurs relations avec les pouvoirs publics, comme de l’ensemble des processus consultatifs qui associent les usagers, les citoyens, à l’élaboration des décisions publiques (enquêtes publiques, consultations locales, démarches participatives diverses).
Les nouvelles formes numériques d’expression de la citoyenneté
« La citoyenneté prend d’évidence des formes numériques de plus en plus prégnantes. Les progrès en termes de transparence qui sont susceptibles d’être portés par l’internet, notamment au travers de la publication en ligne des informations publiques, de l’accès à une information plus large et en temps réel sur les institutions publiques, leur fonctionnement, ou encore les processus décisionnels ou électoraux, relèvent de cette dimension. Les citoyens disposant d’un accès à internet peuvent accéder à une information plus étendue et, le cas échéant, à une meilleure compréhension des enjeux de leur participation aux élections politiques ainsi qu’à l’ensemble des processus participatifs d’adoption de décisions publiques. De tels processus peuvent être organisés par l’État ou les collectivités territoriales préalablement à l’adoption d’un texte normatif».L’outil numérique permet aussi d’alléger l’organisation des processus électoraux ou de consultation et, potentiellement, de simplifier et de renforcer les modalités de participation du public. Plusieurs consultations récentes organisées sur internet ont ainsi connu, note le Conseil d'Etat, "un succès tout à fait appréciable". (Voir à ce propos : En 2017, plus de 100 000 citoyens ont contribué ou participé à des consultations publiques en ligne).
Les civic tech redéfinissent la notion de citoyenneté
Le mouvement dit des « civic techs », en raison non seulement des projets qu’il porte mais, surtout, de l’esprit qui l’anime, est davantage l’expression de la seconde acception du concept de citoyenneté numérique, « à savoir la perspective d’une redéfinition de la notion de citoyenneté sous l’effet des outils technologiques ».Ce mouvement regroupe essentiellement quatre catégories d’activités.
- La promotion de l’ouverture et de la transparence des informations, tout d’abord, en particulier celles détenues par les administrations publiques.
- La participation à la prise de décision : Il peut s’agir, par exemple, de faciliter l’organisation ou la mise en oeuvre des débats publics existants ou de les compléter par l’organisation de débats entre citoyens sur le même sujet. En se connectant aux outils proposés, les citoyens peuvent s’informer sur les projets en cours et donner leurs avis ou suggestions.
- Le troisième type d’activités que mettent en oeuvre les civic techs est de proposer des solutions destinées à améliorer les interactions entre, d’un côté, les institutions et les élus et, de l’autre, les citoyens. Cela peut consister en la création d’interfaces d’échanges permettant de dialoguer directement avec les élus voire de participer, dans une logique de co-construction, à l’élaboration de décisions publiques. Les plateformes de financement participatif de projets locaux relèvent de la même dynamique.
- Les « civic techs » et les « gov techs », peuvent enfin encourager et cristalliser la mobilisation des citoyens en faveur d’actions ou de causes d’intérêt général: financements participatifs pour des projets d’intérêt général, plateformes combinant divers outils d’échange participatifs ou de partage d’analyses, qui permettent de mobiliser de manière plus large et plus efficiente des équipes, dans le cadre des campagnes électorales par exemple ou celles d’ONG.
Les« civic techs » n’ont pas encore concrétisé pleinement leur promesse d’un renouveau civique
« En dépit du potentiel de ces évolutions technologiques et de l’inventivité des développeurs, note le Conseil d’État,le numérique en général, et le mouvement des « civic techs » en particulier, n’ont pas encore concrétisé pleinement leur promesse d’un renouveau civique ».Cet échec relatif résulte, d’abord, d’une difficulté inhérente aux processus participatifs et délibératifs ouverts au public : « les citoyens ou acteurs qui participent effectivement à ces processus sont en règle générale essentiellement ceux qui sont directement intéressés aux retombées positives ou négatives des projets en cause, auxquels s’ajoutent les traditionnels groupes de pression qui défendent leurs intérêts économiques ou sociaux. Comme le montrent la plupart des études sociologiques qui ont été menées, le numérique, qui a le potentiel de faciliter et d’élargir le champ de la participation, tend à reproduire les biais et inégalités observés dans les consultations menées dans la sphère administrative et politique traditionnelle ».
À ce constat décevant, qui peut s’atténuer avec le temps, s’ajoute le facteur de la fracture numérique : « certaines catégories de populations ne disposent pas, soit d’un accès permanent à l’internet, soit des moyens matériels ou du bagage culturel nécessaires pour que ces nouveaux outils permettent leur participation effective aux processus consultatifs ou délibératifs. Les politiques publiques et privées qui tendent à généraliser l’accès au numérique sont donc une condition nécessaire revanche, que le numérique a d’ores et déjà permis un rajeunissement sensible des mécanismes de participation ».
Un observatoire et un label pour encourager l’écosystème des civic techs
En contribuant au développement de processus participatifs innovants (malgré ses limites actuelles), l’écosystème des « civic techs », mérite ainsi, selon le Conseil d’état, « d’être encouragé par l’État et les collectivités territoriales ».Le conseil d’État envisage ainsi la mise en place d’un « observatoire des civic techs et de l’innovation démocratique ».« Celui-ci devrait associer étroitement le Parlement, la future assemblée constitutionnelle de la société civile prévue par le projet de révision de la Constitution, les grandes associations d’élus territoriaux et, bien sûr, des représentants des développeurs de civic techs ».
Il envisage également l’attribution d’un label citoyen, afin d’encourager les projets suscitant le plus d’intérêt pour les autorités publiques et d’amplifier la dynamique d’innovation.
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