Qui adresse des plaintes à la CNIL ? Pourquoi ces personnes décident-elles d'exercer leurs droits de protection des données ? Quelles difficultés rencontrent-elles dans cet exercice ?
Pour répondre à ces questions, le laboratoire d'innovation numérique de la CNIL (LINC) a mené une enquête sociologique auprès des plaignant.e.s : 284 personnes, soit environ 20% des plaintes reçues sur la période, ont répondu au questionnaire proposé à l’issue du formulaire de plaintes en ligne. Cette enquête quantitative a été complétée par la réalisation de 105 entretiens qualitatifs, par téléphone, avec les personnes volontaires.
Le plaignant type : un homme, diplômé et cadre
Cette enquête a permis de dresser le profil majoritaire des plaignant.e.s : majoritairement des hommes (62%), entre 30 et 49 ans (54,2%), diplômé.e.s d’un master et + (48,6%).« Le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle semblent bien discriminants dans le recours au droit en matière de protection des données personnelles. Les cadres supérieurs et les diplômés de master et plus sont surreprésentés parmi les répondants ».Les auteurs de l’enquête observent, en outre, une nette surreprésentation des plaignant.e.s habitant en région Île-de-France.
Si l’on croise ces informations sociodémographiques avec le motif de la plainte, les seules variables significatives sont le niveau de diplôme et la catégorie professionnelle. Le sexe, l’âge ou encore la taille de la commune de résidence n’ont pas d’incidence sur le motif de la plainte adressé à la CNIL.
« Si les retraité.e.s déposent plus de plaintes relatives à la protection commerciale que la moyenne (25% contre 15%), la surveillance sur le lieu de travail est le seul motif de plainte pour lequel la surreprésentation d’un groupe social est statistiquement significative ». Les ouvriers déposent, en effet, 7 fois plus de plaintes relatives à la surveillance au travail que l’ensemble de la population, alors que les cadres en adressent 5 fois moins.Inégalités sociales dans le recours aux droits
Pour expliquer ces inégalités sociales dans le recours aux droits de protection des données personnelles, les auteurs de l’étude avancent plusieurs hypothèses.La connaissance de la CNIL diffère selon les milieux sociauxL’enquête de notoriété réalisée en 2020 par l’Ifop pour la CNIL auprès d’un échantillon de 1006 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, démontre que celle-ci varie fortement selon l’âge, la profession et le niveau de diplôme (tandis que la catégorie d’agglomération et la région n’ont pas d’influence).
Le taux de connaissance de la CNIL varie fortement en fonction de la profession. Si 68% de la population française connaît la CNIL, seuls 45% des ouvriers et 59% des employés la connaissent (contre 93% des cadres et 85% des professions intermédiaires). En outre, la notoriété de la CNIL est particulièrement discriminante selon le niveau de diplôme. Les détenteurs d’un diplôme supérieur au Bac affirment connaître en moyenne 2 fois plus la CNIL que ceux ayant un diplôme inférieur au Bac (85% vs 47%). Enfin, 72% des plus de 35 ans connaissent la CNIL contre uniquement 49% des 18-24 ans.
Un sentiment de compétences des outils numériques plus faibleLe profil particulier des plaignant.e.s peut également s’expliquer par les différences socialement marquées en équipements et pratiques numériques. Les groupes les plus diplômés et favorisés disposent en effet de davantage d’ordinateurs, smartphones, tablettes ou autres objets connectés. Ils ont également des usages numériques plus fréquents, tant dans leur sphère professionnelle que personnelle. Ils sont donc a priori davantage soumis à la collecte et au traitement de leurs données personnelles.
Selon le baromètre du numérique 2021, le niveau de diplôme est très explicatif de la situation : 33% des non-diplômé.e.s ne maîtrisent pas suffisamment ces outils, contre 8% seulement des diplômé.e.s du supérieur.
L’ordre des valeurs privilégiées selon les classes sociales« Une autre explication à cette inégalité réside dans les différences de représentations, conceptions et pratiques relatives à la protection des données au sein des divers groupes sociaux ». Si le souci de la protection des données et de la vie privée est partagé dans toutes les classes sociales, le Baromètre du numérique pointe que les cadres et les professions intellectuelles supérieures sont légèrement plus précautionneux dans leurs pratiques effectives, ce qui peut conduire à un recours plus important aux droits de protection des données par ces groupes sociaux.En outre, « la crainte pour la sécurité des données progresse en fonction du niveau de diplôme ». Alors que 20% des non-diplômé.e.s se soucient de la sécurité des données personnelles, ils sont 24% chez les titulaires d’un niveau BEPC, 29% chez les titulaires du bac et 30% chez les diplômé.e.s du supérieur (Baromètre du numérique 2021). Par ailleurs, 38% des non-diplômé.e.s affirment n’avoir pris aucune mesure de précaution (17% de l’ensemble des répondant.e.s), alors que 47% des cadres en ont adopté au moins six (35% des répondant.e.s), selon le Baromètre du numérique 2021.
« Enfin, les inégalités sociales face aux droits ne sont pas spécifiques à la protection des données personnelles. Les caractéristiques sociales des individus, leur dotation inégale en capitaux économiques, scolaires ou symboliques, sont des variables explicatives des différences d’accès au droit, au langage juridique et aux subtilités des procédures, comme l’ont mis en évidence les travaux de sociologie du droit ».Références :