Interrogeant la promesse d’un renouvellement de la démocratie par le numérique, la FING observait en 2015 que « le numérique avait contribué à faire progresser la transparence mais n’a pas vraiment fait bouger les rapports de pouvoir. L’internet a permis aux gens de contribuer, élargi le cercle des contributeurs, amplifié les mobilisations, mis en réseau de nombreux acteurs. Mais il a aussi montré ses limites. Il n’a pas réinventé la façon de faire de la politique. Pire, il a souvent donné la parole à ceux qui l’avaient déjà, favorisant ceux qui s’expriment le mieux ou le plus, outillant la communication plutôt que le débat. Bref, l’internet a trop promis, la révolution démocratique et participative espérée par les pionniers n’a pas eu lieu. Les dispositifs participatifs (qu’ils soient numériques ou pas) sont restés isolés : les expérimentations réussies demeurent du domaine des bonnes pratiques locales, sans passer à l’échelle. (...) À contrario, la démocratie ascendante, auto-organisée, même imparfaite, est souvent stimulante »..
Les premiers résultats de l’enquête Capacity (soutenue par l’Agence du Numérique) sur les usages numériques des Français dressaient un tableau mitigé quant à la « transformation numérique » des formes d’engagement et de citoyenneté. Si 32 % des internautes déclarent avoir déjà relayé une revendication en ligne, que ce soit par mail, sur les réseaux sociaux ou autre, si 44 % des internautes disent avoir déjà signé une pétition en ligne, 91 % d’entre eux répondaient par la négative quand on leur demandait « si Internet leur avait donné des opportunités pour s’engager politiquement ».
A partir des premiers résultats, l'équipe Capacity observait que « dans l’ensemble, les Français ne semblent pas voir dans Internet un moyen de participer davantage politiquement. Seul un quart est d’accord avec l’idée qu’Internet permet de mieux comprendre les questions politiques et seuls 29 % avec le fait qu’Internet permet d’avoir un plus grand impact politique. L’affirmation selon laquelle Internet permet de s’exprimer davantage sur les questions politiques remporte plus de suffrages : un peu plus d’un tiers des Français sont d’accord avec cette idée (20 % plutôt d’accord et 15 % tout à fait d’accord) ».
Deux chercheurs du GIS M@rsoin, Godefroy Dang Nguyen et Nicolas Deporte, ont entrepris, entre temps, de regarder de plus près les résultats de l’enquête Capacity.
Quatre formes d’action collective numérique, quatre niveaux d’engagement croissant
Le questionnaire Capacity envisageait l’action collective numérique d’une personne sous quatre formes : la signature d’une pétition en ligne, le relais d’une revendication collective selon les modalités de communication les plus larges (mail, réseaux sociaux, etc.), la mise en place d’une page ou d’un groupe Facebook consacré(e) à une cause chère à l’individu, et enfin la création d’une pétition en ligne pour porter une telle cause.Ces quatre formes d’action collective numérique traduisent un engagement croissant de sa part :
- Signer une pétition est un acte assez peu engageant, qui n’expose guère l’individu. Une pétition est conçue pour la « multitude » et l’acte de signer conduit à se fondre dans un collectif pour s’adresser à l’ensemble de la communauté au sens large.
- Assurer par des moyens numériques le relais d’une revendication collective vise à mobiliser son réseau social (au sens premier du terme). Cela expose l’engagement de l’individu au vu et au su de ceux qui lui sont plus ou moins proches et, en ce sens, c’est un engagement plus fort que la signature d’une pétition. Mais cela repose aussi sur les facilités qu’offre le numérique (notamment les réseaux sociaux en ligne) pour diffuser la revendication, informer le plus grand nombre et en faire un fait social, donc « civique ».
- Être à l’origine d’une action collective est plus engageant encore que suivre un mouvement. Une page Facebook (...) mobilise avant tout l’entourage (le réseau social de la personne). Il faut que celui-ci relaie à son tour l’information pour que la page créée acquière une réelle visibilité.
- Enfin créer une pétition peut sembler tout aussi facile que créer une page Facebook, mais en réalité c’est plus délicat, car cela exige de passer par une plateforme spécialisée, afin de vouloir mobiliser le plus grand nombre. Une fois cette première démarche faite, il faut dans un second temps avertir son propre réseau social de l’existence de la pétition nouvellement créée et inviter ses « amis » à propager cette information.
Signer une pétition : un marqueur générationnel, de genre et d’intensité de pratiques numériques
Godefroy Dang Nguyen et Nicolas Deporte ont entrepris de dresser le profil des personnes qui pratiquent ces diverses formes d’action collective numérique.On apprend ainsi que la signature de pétition est plutôt le fait des femmes. « Elles ont 1,9 fois plus de probabilité qu’un homme de le faire souvent. Il n’y a pas d’explication immédiate à ce comportement plus collectif, d’autant que cette variable de genre n’intervient pas dans les autres modalités d’engagement ».
- La signature de pétition est plus fréquente chez les urbains que si l’on vit en milieu rural.
- L’âge intervient également : les 18-24 ans signent moins que les autres catégories d’âge et l’effet est particulièrement fort pour les plus de 50 ans qui signent beaucoup plus que les 18-24 ans (5 fois plus de chances de signer souvent une pétition pour les 50-64 ans, 4 fois plus pour les plus de 65 ans).
- Les ouvriers et les agriculteurs déclarent plus fréquemment ne jamais signer de pétitions.
- Cette relation existe aussi pour le niveau d’études : les personnes ayant un niveau d’études de type Collège ou CAP/BEP disent plus fréquemment ne jamais signer de pétitions, tandis que les niveaux d’études type supérieur court ou long disent plus fréquemment le faire souvent.
- La sociabilité en ligne intervient également : les personnes « qui échangent beaucoup avec d’autres personnes ont une plus grande probabilité de signer souvent des pétitions en ligne ».
Références :