La Revue Française des Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) consacre un dossier à « l’éthique depuis les SIC en contexte numérique ». Si les questions et enjeux éthiques ne datent pas du numérique, ce dossier se propose de mettre l’accent sur les spécificités liées au numérique.
Référence :
Ce dossier sur se fonde sur trois positionnements qui traversent l’ensemble du questionnement :
- L’éthique sous le prisme info-communicationnel : « l’éthique n’est pas simplement une nécessité mais elle relève également d’un désir de régulation des pratiques numériques, de développement d’un esprit critique et de dialogue visant à interroger autrement certains principes fondamentaux de recherche. Ces questionnements se situent dans le champ particulier des SIC. En effet, qu’est-ce qu’une éthique du numérique ? Quelles questions éthiques soulève le numérique du point de vue de l’information et de la communication humaine ? »
- L’éthique comme pratique située : L’éthique n’est ni de nature juridique, ni une expertise, mais une forme de questionnement sur des situations problématiques concrètes qui s’exprime dans l’action, en deçà des cadres juridiques ou réglementaires, lorsque des logiques de valeurs contradictoires sont à l’œuvre. « Une réflexion sur les enjeux sociaux et éthiques des pratiques et protocoles de recherche pourrait contribuer à mettre en évidence cet impensé des protocoles d’évaluation des enjeux éthiques de la recherche, pensés initialement pour les recherches en sciences du vivant, et dont le domaine d’application a été récemment élargi aux sciences sociales ».
- L’éthique sous la focale internationale : « Bien que principe universel, les compréhensions de l’éthique et sa mise en œuvre sont tributaires de contextes situés, localisés, qui sont également culturellement et socialement divers quand le regard se porte à l’international ».
Dans la perspective des travaux de Dewey, Manuel Zacklad et Antoinette Rouvroy, à propos de l’éthique de l’IA et ses controverses, soulignent l’importance de la prise en compte de la question de la participation des acteurs, constitués en publics, dans la définition même des problèmes à traiter. Leur réflexion conduit à analyser six espaces de controverses de l’éthique du numérique et de l’IA connexionniste : controverses liées aux enjeux de culture numérique et de croyances liées à l’autonomie des IA et à l’objectivité des données, relative aux impacts sur l’emploi et aux transformations sociétales associées ; liées au travail et aux modalités d’organisation du travail ; liées à la citoyenneté, à la diversité, à l’égalité des chances et la transparence ; liées aux modalités de participation des usagers (et non usagers) aux choix techniques qui les impactent et liées à la neutralité carbone du numérique et à l’aménagement du territoire.
C’est une approche similaire d’une éthique située qui est conduite par Thomas Hoang, Sandra Mellot et Magali Prodhomme à propos des rapports entre écologie et numérique. Ils analysent la construction d’une éthique de l’écologie numérique dans deux espaces différenciés, l’un médiatique et l’autre artistique. « Cet examen des enjeux sociaux de la médiation, de la médiatisation et de la remédiation des problématiques écologiques du numérique, attentif à la diversité des points de vue, souligne l’existence de différentes façons d’appréhender et de définir l’éthique ».
En lien avec la promotion et la mise en œuvre de la science ouverte (SO), Joachim Schöpfel et Otmane Azeroual présentent les résultats d’une enquête auprès des développeurs, chefs de projets et usagers des « systèmes d’information recherche » autour de deux aspects : « l’éthique comme objet du modèle de données de ces systèmes (métriques), et l’aspect éthique de la mise en place et de l’utilisation de ces systèmes ».
Alexandre Sbabo analyse les interactions entre l’éthique et l’identité dans un environnement numérique par une approche « sémio-énonciative ». Il explore comment les interactions avec l’environnement numérique renvoient à des problématiques concernant l’identité des sujets et la logique économique. L’auteur explore sujet en s’appuyant sur la sémiologie « pour montrer avec des exemples simples comment l’usage de dispositif numérique change les approches interactionnelles et par là même crée une problématique éthique qu’il rapproche de la notion de confiance ».
Dans leur article portant sur « Le travail éthique invisible sur les plateformes numériques » Camille Alloing et Mariannig Le Béchec s’appuient sur l’analyse menée lors d’un projet qui les a conduits à collecter des données issues de plusieurs types de plateformes numériques, l’une dédiée au financement participatif et d’autres de réseaux socio-numériques. Ils expliquent comment leurs réflexions les ont amenés à modifier non seulement leurs méthodes – allant jusqu’à construire leur propre logiciel d’extraction plutôt que de recourir aux API des plateformes pour ne pas être soumis à leurs « fenêtres d’observation » particulières – mais également certains aspects de leurs recherches.
Victor Piaia, Eurico Matos, Tatiana Dourado, Polyana Barboza et Sabrina Almeida ont étudié les échanges au sein de groupes WhatsApp au Brésil, dans le cas de la communication politique. Ils discutent des « procédures, des lignes directrices et des risques » pour la recherche « quand il s’agit de communication politique et que l’on souhaite concevoir une méthode pour collecter des données en ligne en respectant un cadre éthique ». Ils interrogent également les enjeux autour de la position du chercheur en contexte numérique.
Se basant sur un cas pratique, l’étude de communautés anti-feministes en ligne, Louis Bachaud se propose de mettre en lumière les contraintes particulières de ce type d’enquête afin d’armer les jeunes chercheur.euse.s dans un contexte juridique et technologique complexe.
Stéphane Djahanchahi, pour sa part, analyse des enjeux de recherche « quand celle-ci s’intéresse à un terrain ou l’on peut observer une pratique illégale ou des échanges la concernant ». Analysant les discussions sur des forums en ligne consacrés à la production et à l’usage du cannabis, notamment à des fins thérapeutiques, mais en dehors des cadres institutionnels et légaux, cette contribution se concentre sur les processus de légitimation de « savoir-faire pratiques » illégaux.
Sommaire
- Jean-Claude Domenget, Carsten Wilhelm, Béatrice Arruabarrena, Camille Alloing, Christine Barats, Orélie Desfriches, Gérald Kembellec, Mariannig Le Béchec, Franck Renucci, Marta Severo, Brigitte Simonnot et Samuel Szoniecky : Questionner l’éthique depuis les SIC en contexte numérique.
- Carsten Wilhelm: A German Perspective on Research Ethics in Communication Studies.
- Manuel Zacklad et Antoinette Rouvroy : L’éthique située de l’IA et ses controverses.
- Anh Ngoc Hoang, Sandra Mellot et Magali Prodhomme : Le numérique questionné par l’éthique située des écologies politiques. Éclairages par l’approche info-communicationnelle sur l’émergence de questionnements écologiques du numérique dans l’espace public français.
- Joachim Schöpfel et Otmane Azeroual : Les systèmes d’information recherche : un nouvel objet du questionnement éthique.
- Alexandre Provin Sbabo : Éthique, identité et environnement numérique : quelques considérations pour une approche interactionnelle.
- Camille Alloing et Mariannig Le Béchec : L’éthique comme méthode en communication.
- Contourner les plateformes numériques pour assurer la qualité des données de recherche.
- Victor Piaia, Eurico Matos, Tatiana Dourado, Polyana Barboza et Sabrina Almeida: Ethical issues in WhatsApp research: notes on political communication studies in Brazil.
- Louis Bachaud: Navigating Grey Areas: Ethical Issues in Studying Online Antifeminist Communities.
- Stéphane Djahanchahi : Enjeux éthiques d’une enquête sur des actes communicationnels anonymes autour d’une pratique de santé controversée.