Alors que la reconnaissance de leurs droits (au salariat ou à la protection sociale) fait l’objet de décisions de justice et que la Commission européenne propose unedirectivequi « consacre de nouveaux droits tant pour les travailleurs salariés que pour les travailleurs indépendants en ce qui concerne la gestion algorithmique », Sophia Galière, Maîtresse de conférences en sciences de gestion et Claire Le Breton, chercheuse postdoctorale, présentent dans The Conversation les conclusions de l'étude qu'elles ont consacrée aux groupes de discussion en ligne de coursiers.
Références :
Leur enquête ethnographique mêle observations de groupes de discussion sur les réseaux sociaux (Facebook, Telegram) et quarante entretiens avec des livreurs de plats cuisinés utilisateurs de ces groupes.
Selon cette étude, « l’écrasante majorité des discussions observées sur ces dispositifs traitent en réalité des soucis quotidiens des travailleurs (…). Les groupes de discussion en ligne, même lorsqu’ils sont « secrets » et déployés sur des applications cryptées comme Telegram, restent avant tout des lieux où les coursiers échangent sur les bonnes pratiques de travail ».
« Ces échanges opérationnels, nécessaires pour espérer générer des revenus réguliers et suffisants de leur activité sur les plates-formes, permettent aux travailleurs ubérisés de mieux supporter des conditions de travail insatisfaisantes ».« Pour ces individus, rappellent les deux chercheuses, l’urgence est en effet d’apprendre à faire face aux multiples contraintes qui pèsent sur leur activité : comment faire face aux démarches administratives liées au statut de micro-entrepreneur lorsque la livraison de plats cuisinés n’est pas le fruit d’un projet entrepreneurial à long terme ? Comment comprendre le fonctionnement des algorithmes opaques qui coordonnent à distance le travail lorsque la seule formation reçue a été très rudimentaire ? Et comment gérer les imprévus (accidents, problèmes avec les commandes, restaurateurs ou clients) lorsque le management de proximité se résume à des services supports délocalisés sur d’autres continents ? ».« Non seulement les plates-formes, ajoutent Sophia Galière et Claire Le Breton, n’accompagnent pas les travailleurs dans la maîtrise de leur activité quotidienne, mais en plus les algorithmes qu’elles mettent en place tendent à gommer toute possibilité de collectif en présentiel ».« Les algorithmes sont désormais suffisamment perfectionnés pour éradiquer le plus possible les temps d’attente et assurer la livraison toujours plus rapide chez le client. »
La quête de collectifs et d’entraide s’est ainsi déplacée en ligne à travers la création de groupes de discussion libres et autogérés par les travailleur.euse.s ubérisé.e.s. « Le caractère massif de ces groupes en ligne, comportant plusieurs centaines voire milliers de membres, ainsi que la diversité des profils de leurs membres (en termes de trajectoires socioprofessionnelles, d’ancienneté, de dispersion géographique, etc.), s’avèrent être des atouts pour l’entraide et l’apprentissage du métier ».
L’enquête montre que « les fonctionnalités mêmes des outils numériques stimulent l’ancrage de ces apprentissages : d’une part, leur caractère instantané fait que chaque question reçoit généralement une réponse en moins d’une heure et, d’autre part, l’archivage automatique favorise l’accumulation de connaissances partagées à travers le temps. De ce fait, les outils numériques permettent aux coursiers actifs de partager efficacement des informations et aux plus passifs de profiter des échanges sans même y participer.
À ce titre, « les groupes d’entraide en ligne ne font qu’ancrer et refléter les rapports de domination institutionnels et socio-économiques qui pèsent sur les travailleurs des plates-formes. Ils encouragent l’adhésion au mythe de l’entrepreneur de soi lequel, avec un peu d’intelligence ou de malignité, pourrait tirer profit de la logique hyper-méritocratique des plates-formes ».
Enquête ethnographique : travailleur.euse.s des plates-formes, quand l’entraide devient un piège
Alors que la reconnaissance de leurs droits (au salariat ou à la protection sociale) fait l’objet de décisions de justice et que la Commission européenne propose unedirectivequi « consacre de nouveaux droits tant pour les travailleurs salariés que pour les travailleurs indépendants en ce qui concerne la gestion algorithmique », Sophia Galière, Maîtresse de conférences en sciences de gestion et Claire Le Breton, chercheuse postdoctorale, présentent dans The Conversation les conclusions de l'étude qu'elles ont consacrée aux groupes de discussion en ligne de coursiers.
Références :
Leur enquête ethnographique mêle observations de groupes de discussion sur les réseaux sociaux (Facebook, Telegram) et quarante entretiens avec des livreurs de plats cuisinés utilisateurs de ces groupes.
Selon cette étude, « l’écrasante majorité des discussions observées sur ces dispositifs traitent en réalité des soucis quotidiens des travailleurs (…). Les groupes de discussion en ligne, même lorsqu’ils sont « secrets » et déployés sur des applications cryptées comme Telegram, restent avant tout des lieux où les coursiers échangent sur les bonnes pratiques de travail ».
« Ces échanges opérationnels, nécessaires pour espérer générer des revenus réguliers et suffisants de leur activité sur les plates-formes, permettent aux travailleurs ubérisés de mieux supporter des conditions de travail insatisfaisantes ».« Pour ces individus, rappellent les deux chercheuses, l’urgence est en effet d’apprendre à faire face aux multiples contraintes qui pèsent sur leur activité : comment faire face aux démarches administratives liées au statut de micro-entrepreneur lorsque la livraison de plats cuisinés n’est pas le fruit d’un projet entrepreneurial à long terme ? Comment comprendre le fonctionnement des algorithmes opaques qui coordonnent à distance le travail lorsque la seule formation reçue a été très rudimentaire ? Et comment gérer les imprévus (accidents, problèmes avec les commandes, restaurateurs ou clients) lorsque le management de proximité se résume à des services supports délocalisés sur d’autres continents ? ».« Non seulement les plates-formes, ajoutent Sophia Galière et Claire Le Breton, n’accompagnent pas les travailleurs dans la maîtrise de leur activité quotidienne, mais en plus les algorithmes qu’elles mettent en place tendent à gommer toute possibilité de collectif en présentiel ».« Les algorithmes sont désormais suffisamment perfectionnés pour éradiquer le plus possible les temps d’attente et assurer la livraison toujours plus rapide chez le client. »
La quête de collectifs et d’entraide s’est ainsi déplacée en ligne à travers la création de groupes de discussion libres et autogérés par les travailleur.euse.s ubérisé.e.s. « Le caractère massif de ces groupes en ligne, comportant plusieurs centaines voire milliers de membres, ainsi que la diversité des profils de leurs membres (en termes de trajectoires socioprofessionnelles, d’ancienneté, de dispersion géographique, etc.), s’avèrent être des atouts pour l’entraide et l’apprentissage du métier ».
L’enquête montre que « les fonctionnalités mêmes des outils numériques stimulent l’ancrage de ces apprentissages : d’une part, leur caractère instantané fait que chaque question reçoit généralement une réponse en moins d’une heure et, d’autre part, l’archivage automatique favorise l’accumulation de connaissances partagées à travers le temps. De ce fait, les outils numériques permettent aux coursiers actifs de partager efficacement des informations et aux plus passifs de profiter des échanges sans même y participer.
À ce titre, « les groupes d’entraide en ligne ne font qu’ancrer et refléter les rapports de domination institutionnels et socio-économiques qui pèsent sur les travailleurs des plates-formes. Ils encouragent l’adhésion au mythe de l’entrepreneur de soi lequel, avec un peu d’intelligence ou de malignité, pourrait tirer profit de la logique hyper-méritocratique des plates-formes ».