Avant-propos
À rebours des idées reçues, les enquêtes quantitatives comme les travaux de sciences sociales confirment l’intérêt des jeunes pour l’actualité. Trois enquêtes parues récemment dressent un tableau des pratiques informationnelles des jeunes à l’ère des plateformes et des réseaux sociaux numériques.
- Le Baromètre sur la jeunesse éclaire les effets d’âge, de genre ou du diplôme sur ces pratiques informationnelles.
- Selon l’enquête sur les Français et l'information réalisée pour le compte de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) s’est penchée sur les pratiques informationnelles des adolescent.es, si les pratiques des 15-19 ans sont « plus distanciées, moins fréquentes et moins expertes que celles de leurs aînés, ils ne semblent pas moins bien informés que les adultes ».
- L'enquête réalisée en Normandie auprès d'élèves de Première afin d'évaluer leur rapport à la « désinformation » et leurs pratiques de vérification de l’information : orientée sur les filières professionnelles et les classes populaires, cette enquête confirme que les pratiques informationnelles diffèrent sensiblement selon l’origine sociale.
En outre, Laurence Courroy et Anne Cordier, toutes deux chercheuses en Sciences de l’information et de la communication, s'attachent depuis plusieurs années à comprendre les pratiques informationnelles des jeunes. Elles interrogent les préjugés récurrents sur des jeunes déconnecté.es de l’actualité, qui délaisseraient la presse et les médias traditionnels pour ne se focaliser que sur les seuls contenus diffusés par les réseaux sociaux.
7 jeunes sur 10 suivent régulièrement les actualités
Le Baromètre sur la jeunesse, une enquête réalisée auprès de 4 500 jeunes âgés de 15 à 30 ans, pour la Direction de la jeunesse de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) et l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), explore en 2024 la variété des pratiques des jeunes âgés de 15 à 30 ans en matière d’actualités. À quelle fréquence les jeunes suivent-ils/elles les actualités ? Quels thèmes consultent-ils/elles : sport, politique, sujets de société, faits divers, culture et arts ? Pourquoi s’informent-ils/elles ? Réseaux sociaux, télévision, moteurs de recherche, presse… Quelles sources mobilisent-ils/elles ?
Entre 15 et 30 ans, la majorité des jeunes se sont tenu.es, au cours des douze derniers mois, informé.es des actualités plusieurs fois par semaine, voire tous les jours (cela concerne 7 jeunes sur 10 âgés de 15 à 30 ans) soit sensiblement moins que leurs aîné.es (9 personnes sur 10 chez les plus de 30 ans).
Tous les jeunes ne s’informent pas selon la même régularité. L’importance accordée aux actualités durant l’enfance ou l’adolescence au sein de la famille façonne durablement et nettement la fréquence de consultation des actualités. Le suivi quotidien des actualités progresse sensiblement avec l’âge : si entre 15 et 17 ans, près de 3 jeunes sur 10 déclarent s’informer tous les jours, c’est le cas de 4 jeunes sur 10 parmi les jeunes adultes (25-30 ans).
Le diplôme a un effet notable sur la fréquence de suivi des actualités. Les jeunes adultes diplômé.es de l’enseignement supérieur se tiennent plus fréquemment au courant des actualités tous les jours : 48 % parmi les 25-30 ans en comparaison aux jeunes ayant obtenu un diplôme inférieur ou égal au baccalauréat (39 % parmi les 25-30 ans). « La corrélation observée entre le diplôme et la fréquence de consultation des actualités pourrait résulter en partie des habitudes acquises pendant les études supérieures, certaines formations exigeant une consultation assidue des médias. Celle-ci pourrait aussi être le fait de la socialisation à l’actualité, les plus diplômés étant plus représentés parmi ceux qui ont été socialisés à l’actualité durant l’enfance ou l’adolescence ».
Des centres d'intérêt genrés. Les actualités, telles que les appréhendent les 15-30 ans, recouvrent une pluralité de thèmes. Parmi quatorze thèmes d’actualité proposés, les jeunes se disent plus souvent attiré.es par le sport (45 %) et les faits divers (39 %), puis par la politique nationale (35 %), l’environnement et le climat (34 %) et la politique internationale (33 %). Les centres d’intérêt des jeunes sont, toutefois, très genrés. L’information sportive, puis la mécanique, l’automobile et la moto ainsi que les sciences et les technologies suscitent plus d’intérêt chez les jeunes hommes. De leur côté, les jeunes femmes s’intéressent bien plus fréquemment que les jeunes hommes aux faits divers, puis à la mode et la beauté, à la santé et au bien-être, aux questions de société (éducation, familles, logement, justice…), à la vie des célébrités et aux sujets people.
Les pratiques des jeunes adultes (25‑30 ans) se distinguent de celles des adolescents (15‑17 ans). Les premier.es s’intéressent à des sujets plus variés que les plus jeunes, à l’image de leur intérêt pour la politique, l’environnement, les questions de société, l’économie, les sciences et technologies ou la santé. « Les centres d’intérêt des jeunes s’élargissent donc en parallèle de leur entrée dans la vie adulte, d’une part parce que leurs goûts évoluent, et d’autre part parce qu’il est sans doute plus aisé de décrypter ces sujets à un âge plus avancé ».
Référence :
S’informer avant tout par curiosité et pour comprendre le monde
Le « souhait d’apprendre des choses et comprendre le monde qui les entoure » est la première motivation des 15-30 ans (64 %) pour suivre les actualités, selon le Baromètre sur la jeunesse. Chez les plus de 30 ans, suivre les actualités permet aussi et avant tout de satisfaire sa curiosité et de s’instruire puis d’alimenter les discussions avec autrui. En revanche, les plus jeunes perçoivent davantage les actualités comme une forme de divertissement ou de passe-temps par rapport aux plus de 30 ans : « se divertir, passer le temps » est la troisième motivation des 15-30 ans (37 %, contre 22 % chez les plus de 30 ans), en particulier chez les jeunes hommes, les moins diplômé.es et celles et ceux encore en études.
Tandis que les plus de 30 ans privilégient la télévision pour se tenir au courant des actualités, les réseaux sociaux constituent la principale source d’information pour la moitié des 15-30 ans (53 %). Parmi eux/elles, les adolescent.es (15-17 ans) et celles et ceux qui s’intéressent à la vie des célébrités et aux sujets people ou aux questions culturelles ou environnementales sont ceux/celles qui mobilisent le plus les réseaux sociaux pour s’informer, dans l’ordre décroissant : Instagram, TikTok ou encore des sites vidéo YouTube spécifiques dédiés au décryptage des actualités.
« Suivre les réseaux sociaux n’empêche pas les jeunes de porter un regard critique sur ces derniers ». La majorité d’entre eux/elles considèrent qu’ils/elles « diffusent beaucoup plus de fausses informations que les autres médias (télévision, radio, presse…) ». De fait, les jeunes utilisent en plus des réseaux sociaux d’autres sources complémentaires pour s’informer comme la télévision, des sites internet spécifiques et des discussions avec leur entourage. C’est d’ailleurs « en confrontant ce que disent plusieurs médias (télévision, radio, presse…) » que 4 jeunes sur 10 parviennent à se forger une opinion sur un sujet qui fait débat dans la société.
La télévision continue d’occuper une place importante dans le quotidien des jeunes, y compris dans leurs pratiques informationnelles. Les jeunes qui s’intéressent à la politique nationale et internationale sont particulièrement spectateur.ices des journaux télévisés, tandis que ceux/celles qui suivent la politique nationale et l’économie s’informent en priorité via les chaînes d’information en continu.
Les moteurs de recherche et les portails d’actualité sont davantage mobilisés par les jeunes s’informant sur des sujets plus variés : sciences et technologies, mécanique, automobile et moto, santé et bien-être, ou encore les faits divers. Les médias 100 % vidéo (Brut, Konbini, Loopsider, Melty, etc.) sont, quant à eux, davantage suivis par celles et ceux qui s’informent sur la vie des célébrités et les sujets people, les voyages et la gastronomie ou encore la politique internationale.
Enfin, les échanges avec l’entourage permettent aussi aux jeunes – les adolescent.es plus que les jeunes adultes – de se tenir au courant des actualités : près de 20 % des jeunes évoquent les discussions avec l’entourage pour se tenir informé.es sur les actualités.
Entre 15 et 30 ans, la majorité des jeunes s’informent donc régulièrement sur des sujets de plus en plus variés, en utilisant diverses sources d’information et supports (en ligne, hors ligne, échanges).
« Ces pratiques multiples contredisent l’idée qu’ils seraient « moins curieux » ou que les réseaux sociaux appauvriraient leur culture. Ainsi, la jeunesse est une période d’apprentissage des pratiques informationnelles qui restent en partie façonnées par celles de leur famille, leur genre ou leur niveau de diplôme ».
Des pratiques informationnelles distanciées chez les jeunes, une confiance composite et des stratégies d’évitement
L’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) a entrepris en 2024 de dresser un état des lieux du rapport des Français.es à l’information. D’après cette enquête réalisée auprès de 3 356 personnes de 15 ans et plus, les Français.es entretiennent un lien étroit avec l’information : 94 % d’entre eux/elles se déclarent intéressé.es par l’information et la même proportion s’informe quotidiennement. L'étude de l'Arcom révèle que les Français.es se sentent plutôt bien informé.es sur les sujets qui les intéressent. Malgré cet intérêt, la surcharge d’informations conduit une majorité d’entre eux/elles à adopter des comportements d’évitement (changer de chaîne de télévision ou de station de radio, suspension des notifications des applications).
Ces stratégies d’évitement sont toutefois plus radicales chez les 15-25 ans : « Ils évitent les chaînes d’information en continu, les débats sur les sujets potentiellement clivants. Si les titres sont trop négatifs, ils zappent (ne lisent pas l’article, changent de chaîne, scrollent...). Ils se déconnectent soit d’un sujet en particulier (ex. guerres), soit de l’information de manière générale ».
Les auteur.ices de l’enquête se sont penché.es plus spécifiquement sur le segment des adolescent.es. Si les 15-19 ans s’intéressent moins à l’information politique et générale que les adultes, ils/elles s’informent tout de même « pour comprendre le monde qui les entoure, s’instruire et rester informés des grands événements. Il faut "avoir la ref’", notamment pour l’actualité "people" qui les intéresse particulièrement (35 % contre 24 %) ».
Les adolescent.es s’informent principalement sur les réseaux sociaux (44 % contre 18 %) et les plateformes de vidéos (34 % contre 10 %). Ces plateformes vidéo (YouTube, Instagram et Tiktok) répondent à leurs attentes : « des formats très courts (moins de 5 min) et en vidéo ». Ils/elles sont plus nombreux.euses que le reste de la population à consulter Brut (33 % contre 22 %), Kombini (27 % contre 18 %) ou encore Hugo Decrypte (29 % contre 11 %).
Hugo Décrypte est assez emblématique du rapport à l’information des 15-19 ans, de leurs attentes et du besoin de repères : « une présence forte sur les réseaux sociaux, une information rapide accessible et actualisée ».
« Citoyens en formation, les jeunes cherchent et se créent des repères dans ce monde informationnel. Leur confiance est composite. Pour eux plus que pour les autres, le fait qu’une information soit reprise par les médias (33 % contre 23 %) ou que leurs proches en parlent (20 % contre 10 %) sont des gages de fiabilité. Pour autant, ils font également plus confiance que la moyenne aux créateurs de contenus (41 % contre 24 %) ou aux célébrités (37 % contre 27 %) ».
« Au global, en dépit de pratiques informationnelles plus distanciées, moins fréquentes et moins expertes que celles de leurs aînés », concluent les auteur.ices de l’étude, « les 15-19 ans ne semblent pas moins bien informés si on considère leur résultat au quizz » (quatre questions d’actualité de type quizz permettaient de tester le niveau d’information sur l’actualité). Ils/elles sont aussi « moins perméables aux théories complotistes que le reste de la population ».
Référence :
La confiance dans les médias et les pratiques de vérification chez les 16-17 ans varient selon l’origine sociale
L’enquête conduite par Sophie Jehel, Professeure en Sciences de l’information et de la communication (Université Paris 8) et Jean-Marc Meunier, Maître de conférences en Psychologie cognitive (Université Paris 8), réalisée en collaboration avec le Centre de Liaison de l'Enseignement et des Médias d'Information (CLEMI) et l’Observatoire des pratiques numériques des adolescents en Normandie (OPNAN), avait pour objectif d’évaluer le rapport à la désinformation des élèves en classe de Première (en filière générale et en filière professionnelles) et leurs pratiques de vérification de l’information. Concernant les filières professionnelles et les classes populaires, cette enquête (à la suite de nombreuses autres études) tend à montrer que les pratiques informationnelles diffèrent sensiblement selon l’origine sociale.
Selon cette enquête, les élèves de première (à 88 % âgé.es de 16-17 ans), équipé.es en smartphone à 98 %, cumulent diverses sources d’information d’origine journalistique. Près de la moitié ont téléchargé une application d’information. Ils/elles privilégient deux sources d’information : les réseaux sociaux (notamment les stories sur Instagram) et la télévision. La télévision est la première source d’information (pour 43 % d’entre eux/elles), le journal télévisé est aussi la source qu’ils/elles jugent la plus fiable.
Dans les filières professionnelles, les élèves de première manifestent une plus grande défiance vis à vis des médias et de la télévision (pour 23 % d’entre eux/elles), et une plus grande confiance (toute relative cependant, 14 %) à l’égard des réseaux sociaux.
La réception de l’information se fait parallèlement de façon individuelle sur les réseaux sociaux et en famille à la télévision : les conversations avec la famille et les ami.es jouent un rôle prépondérant dans son interprétation et dans la mise à jour des connaissances, particulièrement dans les milieux plus favorisés.
« Contrairement au mythe des « digital natives » et à la représentation ordinaire selon laquelle les adolescent.e.s publieraient à tout va sur les réseaux sociaux, dans leur majorité les adolescents déclarent être prudents quand il s’agit de partager leurs « opinions » sur les plateformes numériques. 70 % ne le font jamais. Les filles un peu moins encore (74 %). Les plus prudents ou les plus silencieux sont les enfants de chefs d’entreprise ou d’agriculteurs (79 %). Quand les adolescents partagent leur opinion personnelle, c’est de toute façon peu fréquent (seuls 4 % les partagent souvent) ».
L'enquête visait aussi à savoir si les adolescent.es étaient familier.es des thèses complotistes. « Cette question ouverte n’a pas suscité beaucoup de réponses, près d’un jeune sur deux n’a soit pas répondu, soit dit qu’il n’en connaissait pas. Les filles, et les élèves des filières professionnelles, sont plus éloignés de ces problématiques ». Les deux théories du complot les plus souvent citées sont la théorie platiste (selon laquelle la terre serait plate) et les Illuminati - secte censée diriger le monde. D’autres théories comme les complots extra-terrestres et reptiliens, ou « Marcher sur la lune » sont cités de façon plus marginale. « Les adolescents ne sentent pas particulièrement exposés aux théories complotistes, la moitié des enquêté.es n’en connaissaient pas. Pour certains, ce sont les cours en EMI qui vont les leur faire connaître » observent les auteur.ices de l'enquête.
Vérification de l’information : 3 profils différents
L’enquête distingue trois profils concernant leurs pratiques de vérification de l’information :
- un premier profil de jeunes qui privilégient une approche par le média, et la confiance qu’ils/elles lui accordent ;
- un deuxième profil pour ceux/celles qui s’intéressent à la dimension formelle du contenu (la signature par un auteur.ice, son titre) ;
- un troisième profil pour ceux/celles qui cherchent d’abord à apprécier la cohérence du contenu.
« L’approche par le média et sa réputation caractérise davantage les enfants des classes populaires (49 %), l’approche par les qualités formelles les milieux plus favorisés (54 %). L’approche par la cohérence ne semble pas être socialement déterminée : elle serait liée à une plus grande habitude de discussion avec des adultes en dehors des proches ».
Un jugement positif sur l’éducation aux médias a l’information (EMI)
Selon les déclarations des élèves, c’est en seconde qu’ils/elles ont principalement bénéficié de cours en EMI (68 %) et dans une moindre mesure en troisième (11 %). Ils/elles souhaiteraient que les apprentissages soient renforcés au collège, mais sans pour autant les diminuer au lycée. L’appréciation des élèves qui ont suivi ce type de séance en EMI est particulièrement positive : 90 % des élèves des filières pro pensent que les cours les ont aidé.es à mieux s’informer, à repérer les fake-news et à renforcer leur vigilance dans ce qu’ils/elles publient eux/elles-mêmes ; 61 % des élèves des filières GT le pensent également. « Les adolescents apprécient particulièrement les scénarios pédagogiques dans lesquels est prise en compte leur expérience, et qui leur permettent de réaliser des recherches documentaires personnelles » concluent les auteur.ices.
Cette étude a été commandée par le CLEMI (Centre de Liaison de l'Enseignement et des Médias d'Information). Elle est le fruit d’une coopération avec les CEMEA (Centre d'entraînement aux méthodes d'éducation active) au sein du dispositif de formation « Éducation Aux Écrans » de la région Normandie.
Référence :
Anne Cordier : « les jeunes tirent parti de ressources informationnelles qui échappent souvent au regard des adultes »
Dans Grandir connectés : les adolescents et la recherche d’information, Anne Cordier, Professeure des universités en Sciences de l’information et de la communication (laboratoire Centre de recherche des médiations – Université de Lorraine), s’intéressait à la relation entre les adolescent.es et l’information. A partir d’un travail de recherche dans des établissements scolaires, elle interrogeait les préjugés récurrents sur les jeunes et les réseaux sociaux et les craintes concernant ces digital natives ayant grandi avec le Web : « une relation avec les écrans et l’information est bien plus complexe que ne le laisse entendre le terme de « crétins digitaux » un temps utilisé pour les qualifier ». Dans Grandir informés : les pratiques informationnelles des enfants, adolescents et jeunes adultes, Anne Cordier poursuit ses entretiens avec ces adolescent.es devenu.es jeunes adultes, en montrant comment leurs pratiques informationnelles ont évolué, les difficultés qu’ils/elles rencontrent en la matière.
« Contrairement à une vulgate répandue, et affirmée par des études aux contours flous et purement déclaratives, les enfants et les adolescents s’informent. Ils et elles s’informent sur leurs centres d’intérêt, leurs loisirs, mais aussi des sujets de société qui leur tiennent à cœur ». Pour Anne Cordier, dans TheConversation, « ces générations tirent parti de ressources informationnelles qui échappent souvent au regard des adultes, à l’instar de Hugo Décrypte, fortement plébiscité par les lycéens, ou encore des titres de presse régionale ou nationale, dont ils suivent les publications via les réseaux sociaux numériques. N’oublions pas non plus les créateurs et créatrices de contenu, qui tiennent une place importante dans l’écosystème informationnel des publics juvéniles, notamment pour nourrir leur curiosité envers l’information documentaire (sur la santé, la sexualité, ou encore la physique ou le cinéma) ».
Plaidant pour une éducation aux médias et à l’information (EMI), elle souligne que ces pratiques informationnelles « ont besoin de soutien : les enfants comme les adolescents apparaissent très demandeurs d’accompagnement dans le domaine, conscients notamment de la difficulté à évaluer l’information dans un contexte généralisé de défiance, ou encore à gérer la réception des images violentes en ligne. Ils sont aussi désireux de développer plus encore leurs connaissances informationnelles "pour réussir dans la vie" ».
« L’étude des parcours sur le long terme, et les enquêtes de terrain en milieu scolaire, montrent la difficulté à mettre en place une progression des apprentissages en éducation aux médias et à l’information. Les temps consacrés à l’information dans la classe, à son analyse comme à sa discussion, sont trop ponctuels. Or, intégrer des apprentissages informationnels au sein d’un environnement médiatique et documentaire pour le moins complexe, comprendre des concepts essentiels comme l’autorité informationnelle ou encore la ligne éditoriale, développer une culture des sources, tout cela demande du temps ».
Anne Cordier vient de mener, pour le CLEMI (Centre de Liaison de l'Enseignement et des Médias d'Information) un travail d’analyse compréhensive de pratiques auprès d’adolescentes et d’adolescents (entre 11 et 19 ans). Cette étude révèle que « les adolescents ont plaisir à s’informer, malgré une actualité angoissante. De manière unanime, ils acceptent les recommandations des algorithmes des plateformes, qu’ils perçoivent comme un appui pour s’informer. Cette étude préconise la mise en œuvre d’une EMI active, capable de créer des espaces de dialogue ancrés dans la vie quotidienne des jeunes, et qui mette en avant la joie et la chance de s’informer et la responsabilité citoyenne ».
Références :
Laurence Corroy : « Ne pas lire de presse papier et ne pas écouter la radio ne signifie pas délaisser l’actualité »
« Il est courant de lire que les jeunes ne se préoccupent plus de l’actualité, qu’ils délaissent les médias traditionnels pour se focaliser sur les contenus diffusés par les réseaux sociaux numériques » constate Laurence Courroy, Professeure des universités (Université de Lorraine) en Sciences de l'information et de la communication, dans The Conversation. « Dans ces déclarations, souvent sous forme de déploration, plusieurs approches sont confondues. Ne pas lire de presse papier et ne pas écouter la radio ne signifie pas délaisser l’actualité ».
Alors que les générations précédentes développaient des préférences pour tel ou tel titre, les jeunes consultent les uns ou les autres relativement indifféremment. « Quand on les interroge, lycéens comme étudiants peinent à situer les lignes éditoriales des quotidiens ou leur sensibilité sur l’échiquier politique. Ce qui les intéresse, c’est l’information journalistique, plus que de savoir si elle émane du Monde, de Libération ou du Figaro. Ils ne consultent pas un quotidien pour son positionnement mais pour la garantie de qualité qu’il représente. Ainsi, les grands journaux fonctionnent de manière globale comme des "marques" de référence ».
Pour les adolescent.es, comme pour les jeunes majeurs, la rupture avec les générations précédentes réside dans les usages numériques de l’information : ce sont les réseaux sociaux numériques qui leur servent de portes d’entrée vers l’actualité, en particulier YouTube, Instagram et Twitter, mais aussi Spotify et TikTok dans une moindre mesure.
« Les formes brèves qui sont en usage sur ces réseaux font écho au rapport que les jeunes eux-mêmes entretiennent avec l’écrit, à travers textos et émojis. La mise en image des messages y est appréciée, tout comme la possibilité d’envoyer à ses contacts les informations, éventuellement avec ses propres commentaires, ce qui permet d’adopter une posture plus active face à l’information ».
Alors que les seniors demeurent très attachés à la presse papier, « les jeunes la jugent souvent difficile à lire, parfois absconse et onéreuse (...) Être informé en continu par les réseaux sociaux peut provoquer une anxiété face aux désordres du monde. Nous pourrions parler de « stress informationnel », provoqué par le fait d’être informé en continu ».
« Il revient enfin aux journalistes et aux médias traditionnels de penser davantage aux jeunes », conclut Laurence Courroy, « en leur donnant la parole, en traitant de sujets dont ils se sentent proches : l’écologie, les questions de genre, la parité… La participation des journalistes à la semaine de la presse à l’école est aussi un moyen de mieux faire connaître la presse et la diversité de l’offre médiatique, son importance pour vivifier la démocratie ».
Référence :
Sources
1. Le rapport des jeunes aux informations en 2024 : Résultats du baromètre DJEPVA sur la jeunesse
2. Arcom : le rapport des Français à l'information, mars 2024
4. Anne Cordier : pour une éducation aux médias et à l’information (de) tous les jours
5. Anne Cordier : quand les adolescents racontent le smartphone (étude CLEMI)
6. Laurence Corroy : pour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?