Le numérique a été le support quasi exclusif du tissu social pendant plusieurs mois. Alors que sa culture est, par définition, ancrée dans le présentiel, le secteur social a subi de plein fouet la crise sanitaire, provoquant une nécessaire migration vers le numérique et l’accompagnement à distance.
Dans un rapport remis au gouvernement, sur la base d’une enquête réalisée auprès de nombreux acteurs du social, WeTechCare montre « comment le numérique a permis aux travailleurs sociaux de maintenir une activité interne, de diffuser des informations aux publics, d’accompagner à distance (notamment avec le retour du téléphone) et, pour certains, de former leurs publics au numérique afin de les mettre en capacité dans la durée. L’adaptabilité et la créativité de ces structures, qui étaient peu nombreuses à avoir enclenché leur transformation digitale, est particulièrement intéressante ».
Une accélération des pratiques numériques
« Le monde social, à la même enseigne que tous les autres secteurs d’activité, a vécu un confinement qui a profondément modifié ses pratiques de travail. Télétravail, réunions à distance, limitation des déplacements et webinaires se sont généralisés en l’espace de quelques jours pour répondre à l’enjeu sanitaire et pour protéger salariés comme bénévoles. Une transformation dans l’urgence montre que c’est possible, mais cela ne remplace pas une transformation en profondeur».Les acteurs sociaux ont souvent fait preuve d’une agilité remarquable pour s’adapter au contexte et maintenir leurs opérations.
Beaucoup de structures, toutefois ont aussi été prises de cours. Benjamin Bitane, responsable du pôle formation chez Emmaüs Connect, rapporte qu’avant le confinement, « les travailleurs sociaux avaient souvent un ordinateur fixe et peu ont eu d’ordinateur portable pendant le confinement, notamment parce qu’il y avait une pénurie de ce genre de matériel. On a souvent vu des travailleurs sociaux utiliser leur téléphone personnel pour appeler les publics les plus isolés, pour maintenir du lien social.” Il ajoute : “Les petites associations ont été beaucoup plus flexibles et ont réussi à se débrouiller pour trouver du matériel pour que les collaborateurs arrivent à travailler à distance ».
Le confinement a, par exemple, conforté des acteurs sociaux dans leur choix de numériser davantage de procédures. Il a aussi été l’occasion pour nombre de petites structures sociales de se créer un site web et de se rendre plus facilement repérables et joignables dans un contexte de forte limitation des déplacements.
Accompagner à distance : le retour du téléphone
Cet accompagnement s’est aussi reposé sur le téléphone pour les publics les plus éloignés du numériqueDes entretiens avec des médiateurs et médiatrices qui ont réalisé ces accompagnements, plusieurs obstacles remontent :
- « ne pas voir ce que la personne voit à l’écran (où la personne en est, ce qu’elle a déjà fait, ce qu’elle est en train de voir, souvent, les personnes accompagnées ne recon- sent pas instinctivement les éléments importants à l’écran)
- ne pas pouvoir vérifier si la démarche a fonctionné
- recevoir des demandes qui ne concernent pas uniquement les outils numériques ;
- trouver un vocabulaire précis mais compréhensible ».
Une transformation numérique définitivement enclenchée
Tout le travail du secteur social a migré vers davantage de distanciel, de télétravail, à l’image de nombreux autres secteurs de notre économie.« On a observé la résilience des organisations équipées pour accompagner à distance (ordinateurs portables, connexion, réseau professionnel) et la migration aussi rapide que forcée de celles qui ne le faisaient pas déjà. Inévitablement, les structures qui avaient déjà enclenché leur transformation digitale ont réussi à s’adapter beaucoup plus vite que les autres. Pour ces structures, l’élan donné par le confinement va se poursuivre».Pour les structures qui n’avaient pas encore enclenché leur transformation numérique, elles ont dû se débrouiller avec les moyens du bord mais sont aujourd’hui beaucoup plus ouvertes à l’utilisation du numérique dans leur fonctionnement interne.
Le numérique intégré dans l’accompagnement social
Pendant plusieurs mois il a fallu accompagner des usagers par téléphone, par visioconférence, parfois en physique.« Ces solutions, créées dans l’urgence, ont le mérite d’avoir permis d’accompagner et de rassurer de nombreuses personnes, et notamment des publics isolés géographiquement. Il s’agit pour autant d’un métier qui demande à être structuré afin d’être pleinement efficace et complémentaire aux autres formes de médiation ».Cette hybridation entre présentiel et distanciel se poursuit aujourd’hui.
Une intensification des usages qui fait ressortir les inégalités d’accès et de connectivité
L’intensification brusque des usages (télétravail, cours en ligne, lien social) a largement fait rejaillir le besoin d’équipement et de connexion dont on avait tendance à dire qu’il était plutôt derrière nous.« Concernant les habitants, on savait qu’il y avait une problématique d’accès, mais pas à ce point- là. D’un coup, les points de libre-accès étant fermés, les inégalités sociales se sont ren- forcées.st quand les structures sociales ferment qu’on se rend compte des services rendus, et que les habitants n’ont pas forcé- ment le matériel chez eux. On pensait que la fracture numérique en termes d’accès était terminée surtout depuis l’arrivée des smartphones. »
Le confinement a indubitablement permis à l’action sociale d’accélérer sa transition numérique, concluent les auteurs du rapport.
- « L’urgence de la situation a permis aux structures une acculturation rapide au numérique, à la fois dans leur fonctionnement interne mais aussi dans l’accompagnement de leurs bénéficiaires.
- Le monde social a donc désormais une vision moins fantasmée du numérique : il sait que le numérique ne permet pas tout, que l’accompagnement à dise a ses limites et que le face-à-face reste important.
- Il a compris aussi que le numérique est un puissant levier d’efficacité, que les publics accompagnés sont davantage motivés pour se l’approprier et qu’en cas de nouvelle crise sanitaire, il est un lien fort qui nous relie ».
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