Entre 2008 et 2018, les pratiques culturelles numériques se sont considérablement développées. «Plus d’un tiers des Français écoutent de la musique en ligne, 44 % jouent à des jeux vidéo et les trois quarts des jeunes (15-24 ans) regardent des vidéos en ligne. « L’analyse par générations montre tout à la fois la singularité des jeunes générations au sein desquelles les pratiques numériques sont devenues majoritaires, mais aussi celle de la génération des baby-boomers »
Menée tout au long de l’année 2018 auprès d’un échantillon de plus de 9 200 personnes en France métropolitaine, l’enquête sur les pratiques culturelles est la sixième édition d’une série commencée au début des années 1970 et destinée à mesurer la participation de la population aux loisirs et à la vie culturelle.
Cette sixième édition permet d’observer l’évolution des pratiques culturelles depuis la précédente édition réalisée en 2008 mais aussi depuis la décennie 1970, et offre ainsi un panorama de près d’un demi-siècle des dynamiques des pratiques culturelles de la population âgée de 15 ans et plus.
L’essor considérable, en dix ans, des pratiques culturelles numériques
Au cours de ces dix dernières années, l’écoute de musique enregistrée est devenue une pratique courante au sein des 15 ans et plus, et cet essor doit beaucoup à la diffusion croissante des usages numériques au sein de la population.La diffusion des usages numériques favorise également la consultation de vidéos en ligne et celle des réseaux sociaux, deux pratiques qui, en dix ans, ont pris toute leur place dans le quotidien de nombreux Français, alors qu’elles étaient encore peu courantes en 2008.
Les jeux vidéo se sont quant à eux progressivement imposés au sein de la population française, touchant un public toujours plus large avec le vieillissement des premières générations de joueurs. Jouer à des jeux vidéo, écouter de la musique et consulter des vidéos en ligne sont désormais des pratiques majoritairement répandues chez les jeunes.
La singularité culturelle des générations récentes
« Phénomène émergent de la dernière décennie en tant que pratique de masse, les usages numériques sont ainsi devenus, en une décennie, majoritaires dans le quotidien des jeunes, qu’il s’agisse de l’écoute de musique en ligne, de la consultation quotidienne de vidéos en ligne, des réseaux sociaux ou encore des jeux vidéo. Pour cette génération, les contenus issus des médias traditionnels, en particulier de la radio, perdent de leur centralité tandis que les réseaux sociaux sont devenus une source d’information incontournable »Cette irruption des usages numériques n’efface pour autant pas chez les jeunes leur goût des sorties : en 2018 comme auparavant, les jeunes (15-24 ans) fréquentent assidûment les lieux culturels, qu’il s’agisse des cinémas, des lieux de spectacle, des bibliothèques ou même des sites patrimoniaux (musée, exposition ou monument historique). En effet, bien que la hausse de fréquentation présentée plus haut soit essentiellement portée par les publics plus âgés, les niveaux de participation de la jeunesse à ces propositions culturelles sont structurellement élevés tout au long de la période.
Spectaculaire essor du jeu vidéo, en voie de stabilisation
Au cours des deux dernières décennies, la pratique, au moins occasionnelle, des jeux vidéo progresse fortement dans la population, en restant majoritairement masculine.Au sein des personnes âgées de 15 ans et plus, respectivement 39 % des femmes et 49 % des hommes jouent en 2018, contre 15 % des femmes et 24 % des hommes en 2008.
La progression observée depuis vingt ans de la pratique vidéoludique au sein de la population française masque de très grandes disparités générationnelles. Comme l’écoute quotidienne de musique, la diffusion de cette pratique est principalement portée par le renouvellement des générations.
Les générations nées avant 1954 jouent peu ou pas du tout aux jeux vidéo, il y a vingt ans comme aujourd’hui – même si un développement sensible de cette pratique est observable parmi les femmes de ces générations entre 2008 et 2018 (se manifestant par une hausse sensible à la droite des courbes générationnelles), sans doute lié au succès des mini-jeux sur smartphones.
L’essor des pratiques vidéoludiques est particulièrement visible à partir de la génération née entre 1965 et 1974, première à avoir connu l’arrivée des consoles dans son salon à un âge encore jeune.
Pour les natifs de cette génération, la pratique vidéoludique se développe véritablement après leurs 30 ans, surtout parmi les hommes : entre 33 et 48 ans, les hommes de cette génération comptent une majorité de joueurs (57 %).
La génération suivante, née entre 1975 et 1984, a quant à elle d’emblée grandi à une époque marquée par une grande disponibilité des équipements permettant de jouer aux jeux vidéo, qu’il s’agisse des consoles, des ordinateurs ou encore des smartphones. Elle se caractérise ainsi par des niveaux de pratique beaucoup plus élevés, autour de 50 % pour les femmes et 70 % pour les hommes, dont l’engagement dans la pratique reste stable au fil de l’avancée en âge.
les pratiques audiovisuelles creusent l’écart entre générations
« La baisse de consommation télévisuelle quotidienne chez les plus jeunes ne signifie pas pour autant qu’ils se détournent des écrans. Dans de nombreux cas, ce détournement partiel des contenus télévisuels s’accompagne d’une consommation élevée de contenus audiovisuels sur Internet – une pratique qui reste pour le moment largement spécifique à la jeunesse ».Alors que les usages numériques en matière d’écoute de musique ont favorisé une certaine convergence des pratiques, que ce soit entre générations, entre classes d’âge, types de territoires et milieux sociaux, le développement de l’offre audiovisuelle numérique se traduit au contraire par un renforcement des écarts de pratiques entre classes d’âge.
Apparu au cours des dix dernières années, ce phénomène contrecarre des évolutions historiques qui tendaient à faire converger les pratiques télévisuelles des plus jeunes et celles de leurs aînés.
Ainsi, en 2018, alors que les plus de 60 ans continuent de privilégier l’usage d’un poste pour regarder la télévision, les plus jeunes choisissent désormais plus souvent d’autres terminaux : plus d’un tiers des 15-19 ans (35 %) déclarent regarder la télévision sur support mobile (smartphone ou tablette), cette pratique ne concernant qu’une petite minorité des 60 ans et plus (5 %).
Et si ces terminaux permettent de regarder la télévision, ils ouvrent également sur d’autres contenus audiovisuels, très prisés des générations récentes. « Le recul de la consommation télévisuelle des plus jeunes s’accompagne du développement de pratiques nouvelles, liées à la consommation de contenus audiovisuels en ligne, qui viennent s’ajouter aux premières sans pour autant les remplacer totalement ».
Pratique aujourd’hui presque réservée aux plus jeunes, la consommation de contenus audiovisuels diffusés en dehors des chaînes de télévision devient, en 2018, très répandue : la moitié des 15-24 ans déclare ainsi quotidiennement regarder, en dehors de la télévision, des vidéos sur Internet, qu’elles soient hébergées par les réseaux sociaux ou sur une plateforme de diffusion, contre seulement 3 % des 60 ans et plus.
Essoufflement des pratiques en amateur entre 2008 et 2018
Faire de la photographie, de la musique, de la danse, du théâtre, du dessin, de la peinture ou encore écrire (des poèmes, des nouvelles ou un roman) sont des activités pratiquées par quatre Français sur dix (39 %) âgés de 15 ans et plus en 2018. La pratique de ces activités s’est tendanciellement développée depuis les années 1970 et jusqu’en 2008 : près d’un tiers des 15 ans et plus déclaraient pratiquer l’une de ces activités au début des années 1970 et ils étaient 50 % à le faire en 2008.« Ce recul est toutefois à considérer avec prudence, tant l’éventail des activités artistiques s’est diversifié, notamment avec le développement des pratiques numériques venant concurrencer celles observables dans les six éditions de l’enquête de 1973 à 2018. Un examen de ces activités révèle des évolutions contrastées : certaines deviennent moins courantes (en particulier la pratique musicale), pendant que d’autres se maintiennent (arts graphiques, théâtre, écriture) ou se développent (danse, photographie) ».
Des pratiques amateur de plus en plus « numériquement outillées »
« Dans le contexte de fortes innovations technologiques et le développement de nouveaux outils facilitant la production de contenus qui ont marqué les dernières décennies, on aurait pu penser que des pratiques artistiques pour lesquelles le recours au support numérique était possible – qu’il s’agisse de l’écriture, du dessin, de la musique, de la photographie ou de la vidéo – connaîtraient un succès grandissant – voire que de nouvelles pratiques émergeraient.Si les outils numériques n’ont pas suffi à maintenir constante la part des amateurs ni à favoriser les élans artistiques, ils ont cependant été largement adoptés par les amateurs, qui ont de plus en plus tendance à y avoir recours, en particulier pour faciliter le partage de créations personnelles, grâce à l’émergence de plateformes numériques favorisant celui-ci.
Si l’on considère les pratiques amateur (écriture, dessin, musique, photographie, video), on constate que la part des utilisateurs d’outils numériques parmi les 15 ans et plus pratiquant des activités artistiques en amateur a fortement augmenté : adoptée par un tiers des pratiquants en 2008, l’utilisation des outils numériques concerne, en 2018, la moitié des amateurs d’une activité artistique où l’utilisation du numérique est possible. Cette progression de la part d’utilisateurs d’outils numérique concerne en moyenne davantage les hommes, les moins jeunes et les personnes résidant à Paris.
En 2018, le montage audio et vidéo séduit 9 % des 15 ans et plus, particulièrement les plus jeunes (19 % des 15-19 ans contre 4 % des 60 et plus), contre 4 % en 2008.
Comme pour la photographie, cette activité est souvent associée à d’autres pratiques artistiques en amateur, musicales ou non : les 15-19 ans qui ont réalisé des montages vidéo ont pratiqué en moyenne 2,8 activités artistiques en plus de cette première activité en amateur (contre 2 activités en plus en moyenne pour l’ensemble des 15 ans et plus).
L’art de mettre en scène ses propres créations : une nouvelle pratique culturelle ?
Le recours aux réseaux sociaux dans le cadre de la pratique d’une activité artistique en amateur n’a pas suivi la même dynamique que celle de la consultation des réseaux sociaux.Alors que cette dernière a connu un bond spectaculaire de 40 points en dix ans (13 % en 2008 contre 53 % en 2018 des 15 ans et plus consultaient les réseaux sociaux – une hausse qui s’explique par l’émergence des plateformes des réseaux sociaux au cours de cette décennie), l’utilisation des réseaux sociaux comme moyen de diffusion publique d’un contenu produit en tant qu’amateur (images, écrits, vidéos, musique) est resté parfaitement stable puisqu’il concerne 7 % des 15 ans et plus en 2008 comme en 2018.
Ainsi, il semble qu’il y ait de plus en plus de spectateurs (les « suiveurs ») d’un nombre plus réduit d’amateurs actifs dans ces sphères (« bloggers », « Instagrammers » ou « YouTubers »). « Ce phénomène constituerait l’émergence d’une nouvelle pratique artistique en soi, celle de l’art de mettre en scène ses propres créations, certainement difficile à mesurer en tant que tel à travers un concept statistique, du fait de son caractère protéiforme ».
« En revanche, le fait de diffuser ses créations après les avoir réalisées concerne davantage d’amateurs en 2018 : 15 % des amateurs de 15 ans et plus ont utilisé les réseaux sociaux pour partager leurs productions contre 10 % en 2008, peut-être le signe que la consultation des réseaux sociaux incite davantage à reproduire les comportements des influenceurs en partageant son propre univers en ligne ».Référence :