Ce dossier de la revue Terminal , consacré aux enjeux des blockchains, coordonné par Primavera De Filippi, Chantal Enguehard, David Fayon, Anne Gagnebien et Geneviève Vidal rassemble des analyses issues de plusieurs disciplines : sociologie, droit, sciences politiques, sciences de gestion, sciences de l’information et de la communication, histoire de l’art et informatique.
Dominique Desbois revient sur la genèse d’une « utopie cyberpunk » et son detournement par des capitaines de l’industrie numérique, souvent des « libertariens » militants. « Si cette orientation politique assimilable à l’anarcho-capitalisme demeure minoritaire aux USA, elle est fortement représentée dans certains milieux d’affaire : d’après une enquête récente, 44 % des détenteurs de bitcoins se définiraient comme libertariens ».
Philémon Poux, Primavera De Filippi et Bruno Deffains abordent certaines pratiques dans le monde des blockchains (notamment celles de Maximal Extractable Value-MEV) qui profitent des efforts d’un autre utilisateur pour identifier une transaction rentable et en capturer la valeur. « Ces MEV réduisent la confiance dans le réseau ». Si la théorie des jeux non coopératifs n’est pas en mesure, selon les auteurs, de prévenir les MEV inéquitables, « celle des jeux coopératifs, dans le contexte des biens communs, peut éclairer la situation, en caractérisant les réseaux publics de blockchains comme des ressources communes ».
Chercheur en informatique, Pablo Rauzy présente les notions techniques et informatiques des blockchains, comme la décentralisation, la distribution, l’immuabilité, ou le consensus, ainsi que le fonctionnement technique des outils cryptographiques sous-jacents comme les condensats, les signatures, la preuve de travail ou d’enjeu. Sont ainsi passés au crible des aspects comme celui de la non-neutralité des blockchains héritée d’une idéologie libertarienne. Trois cas d’usages sont abordés : les cryptomonnaies, la certification de documents, les NFT (Non-Fungible Tokens).
Pour la sociologue Cécile Caron, « les blockchains se présentent comme des technologies de confiance, offrant des échanges sécurisés de pair à pair sans intermédiaire. Mais elles présentent des risques pour la vie privée et posent des questions de mise en conformité aux règlementations ». L’analyse d’un cas d’usage montre les compromis sociotechniques opérés par les acteurs des blockchains notamment en envisageant la technologie blockchain comme une « solution de privacy ».
La juriste Sofia Roumentcheva quant à elle, aborde les blockchains comme une innovation collaborative, qui présente des enjeux relatifs à la propriété intellectuelle des nouvelles modalités d’innovations. La traçabilité des contributions et le déséquilibre dans le partage de la valeur retiennent particulièrement l’attention de l’auteure qui interroge les blockchains comme outil technique conforme aux exigences légales.
La seconde partie du dossier est organisée autour de trois cas d'usage des blockchains : bitcoin, cinéma, musique
Éric Arrivé, pour sa part, propose une compréhension du protocole bitcoin, « en tant qu’hybride sociotechnique », dépassant l’étude des acteurs et des groupes d’intérêts. L’expansion du protocole bitcoin s’appuie sur la puissance de calcul offerte par les blockchains. Le principal résultat de cette analyse est la modélisation du protocole bitcoin avec deux faces dont l’intrication produit un ressort caractéristique de son expansion, non pas en termes d’usages, mais de puissance de calcul. Il est susceptible d’être mobilisé ultérieurement par diverses disciplines afin de mieux situer les risques.
Katia Andrea Morales Gaitan s’interesse aux innovations des modèles économiques liées à la gestion de la propriété intellectuelle menée avec les plateformes blockchains dans l'industrie cinématographique et audiovisuelle. Elle s’interroge sur la précarité et l’élitisme des nouveaux cinéastes, mais aussi sur la concurrence et les changements de comportements des audiences aujourd’hui plus proches de la production amateur, de la culture remix, que de la création de contenu original.
Régis Barondeau, Charlotte Blanche et Simon Delage se penchent sur la manière dont l’industrie musicale s’est emparée des chaînes de blocs dans de nombreux champs d’applications allant de la relation au public à la gestion des droits en passant par les nouvelles possibilités de création. En étudiant le cas spécifique de l’industrie musicale québécoise, les auteurs mettent en discussion leurs résultats à la lueur des communs de la connaissance avec l’appui d’un scénario de création d’un registre distribué des métadonnées autogouverné par les acteurs de l’industrie.
Sommaire
Dominique Desbois : Blockchain : de l’utopie cyberpunk aux contraintes environnementales. La nécessité d’une régulation
Blockchains : quels enjeux juridiques, économiques, et énergétiques ?
- Primavera De Filippi, Chantal Enguehard, David Fayon, Anne Gagnebien et Geneviève Vidal : Introduction : Quelques enjeux de sécurité, juridiques, économiques, et énergétiques des blockchains »
- Primavera De Filippi et David Fayon : Les blockchains (chaînes de blocs), nouveaux outils de transformation économique, sociale et politique. État de l'art
- Primavera de Filippi, Bruno Deffains et Philémon Poux : « Maximal Extractable Value » ou la Tragédie des Blockchains en tant que Communs [
- Pablo Rauzy : Promesses et (dés)illusions. Une introduction technocritique aux blockchains
- A technocritical introduction to blockchains
- Cécile Caron : La Blockchain à l’épreuve de la vie privée. Compromis sociotechniques entre deux modèles de confiance dans la conception et l’expérimentation d’un service de mobilité
- Sofia Roumentcheva. Usages de la blockchain dans l’innovation collaborative. Enjeux en droit de la propriété intellectuelle
Applications et études de cas
- Éric Arrivé : Pile et face. Les deux configurations sociotechniques intriquées du protocole Bitcoin
- Katia Andrea Morales Gaitán : L’adoption de la chaîne de blocs dans le cinéma. Le chaînon manquant de la chaîne de valeur du cinéma indépendant ?
- Régis Barondeau, Charlotte Blanche et Simon Delage : es chaînes de blocs et les communs au secours de l’exception culturelle ?
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