Avant propos
Les périodes de confinements qui se sont succédées depuis 2020 et le début de la crise de la Covid-19 ont rendu les outils numériques indispensables dans de nombreuses démarches et activités du quotidien. Maintien des liens avec les proches, télétravail, cours en ligne, démarches administratives dématérialisées : l’ensemble de la population a été amenée à prendre main des outils parfois peu familiers. Quels sont les impacts de cette période liée à la crise sanitaire sur le rapport au numérique des Français.es ?
Une série de questions, introduites dans le Baromètre du numérique 2022 par le programme Société Numérique de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, permet de répondre en partie à cette question globale en adressant les sujets du sentiment de compétence numérique, de l'autonomie et des freins perçus par les Français.es dans l'utilisation du numérique.
Des inégalités en compétences numériques qui s’accentuent
A la question « Depuis deux ans et les différentes périodes de confinement, avez-vous l’impression de mieux maîtriser les outils numériques pour les différentes démarches et activités de votre vie quotidienne », 57% des personnes interrogées répondent positivement (16% « Oui, tout à fait » et 41% « Oui, plutôt »).
Toutefois, cette moyenne est sous-tendue par de grandes disparités. En effet, si le sentiment de s’être mieux approprié les outils numériques avec la pandémie est marqué chez les cadres et professions intellectuelles supérieures (71%), à l’inverse, les Français parmi les plus vulnérables (non diplômés et retraités), quant à eux, sont une minorité à avoir l’impression de gagner en maîtrise depuis ces deux dernières années (respectivement 38% et 43%). Par conséquent, l’écart se creuse sur le sentiment de monter en compétences chez les Français.es.
En outre, l’impression de mieux maîtriser les outils numériques depuis deux ans décroît avec l’âge : elle concerne 74% des 18-24 ans, 68% des 25-39 ans, 61% des 40-59 ans, 52% des 60-69 ans, 36% des plus de 70 ans.
Une progression sensible de l’autonomie face aux outils numériques
Une question introduite dans le Baromètre en 2018 et reconduite en 2019 et 2022 (« Quand vous rencontrez une difficulté en utilisant des outils informatiques et numériques : que faites-vous ? ») met en relief l'évolution des comportements, notamment une ce qui pourrait être interprété comme une augmentation de l'autonomie des Français.es : +9 points par rapport à 2019 de personnes qui se « débrouille seule » lorsqu'elles rencontrent une difficulté avec le numérique.
Elle permet aussi de décomposer la population en quatre groupes :
- Les personnes « autonomes » : elles déclarent ne jamais rencontrer de difficultés ou déclarent se débrouiller seule : leur part dans la population adulte est passée de 39 % en 2018 à 51% en 2022 ;
- Les personnes qui cherchent de l’aide auprès de leur entourage : leur part a décru en quatre ans, passant de 36% à 29% ;
- Les personnes qui abandonnent quand elles rencontrent une difficulté : leur part a décru, passant de 8% à 5% ;
- Les personnes n’ayant jamais utilisé d’outils informatiques ou numériques : leur part est passée en quatre ans de 10% à 7%.
Le niveau de diplôme continue de creuser les écarts : la proportion d’utilisateurs autonomes atteint 56% chez les titulaires du baccalauréat et 58% parmi les diplômé.e.s du supérieur, alors que les non-diplômé.e.s sont très minoritairement autonomes (32%).
Alors que la population des internautes est constituée d’autant d’hommes que de femmes, les hommes affirment plus souvent savoir se débrouiller seuls (45%) que les femmes (36%). 11% des hommes et 10% des femmes affirment ne pas rencontrer de difficultés (12 %). L’interrogation sur les « effets de genre » dans la relation au numérique traverse depuis 15 ans les travaux qui se penchent sur les usages et les compétences numériques. De nombreux travaux ont ainsi mis en relief une moindre confiance des femmes dans leurs compétences numériques.
Le cercle familial et amical, un recours important en cas de difficultés pour les plus vulnérables
28% des personnes se tournent vers leurs proches quand elles rencontrent une difficulté à utiliser les outils numériques. Ce recours au cercle familial ou amical est plus marqué chez les 60-69 ans (38%) et les plus de 70 ans (33%), chez les titulaires d’un BEPC (33%), parmi les personnes au foyer (38%) et les retraités (31%). Les femmes seraient également plus enclines (35 %) que les hommes (22 %) à chercher de l’aide auprès de l’entourage.
À mesure que les usages se multiplient, davantage de personnes rencontrent des freins dans l’utilisation des outils numériques
Le Baromètre numérique proposait, en 2022 comme en 2020, une liste de « freins qui vous empêchent, vous personnellement, d’utiliser pleinement les outils numériques dans votre quotidien, que ce soit sur smartphone, tablette ou ordinateur ».
Parmi ces « freins », celui dont la progression est la plus forte depuis 2020, est le manque de maîtrise des outils informatiques pour pouvoir les utiliser pleinement (25%, + 7 points).
Si le sentiment de ne pas maîtriser suffisamment les outils pour les utiliser pleinement est davantage cité par les 70 ans et plus (36%), leurs réponses sont restées stables depuis 2020 (+ 2 points), au contraire de l’ensemble des autres classes d’âges. Les 18-24 ans sont 19% à déclarer ce type de frein en 2022 (+ 11 points) « alors qu’ils sont, sur de nombreux usages, plus à l’aise que leurs ainés, et qu’ils expriment également avoir appris de nouveaux usages pendant la période Covid-19 » observent les analystes du Credoc.
A mesure que les usages se multiplient, davantage de personnes rencontrent des freins dans l’utilisation des outils numériques. L’enquête Capacity avait d’ailleurs montré que, de manière un peu paradoxale, « plus on a d’usages numériques, plus on a d’ennuis … En clair, lorsque certaines personnes se contentent d’aller sur Google et de transférer des photos à des proches, elles ont peu de soucis avec Internet », observait alors Jean-François Marchandise, délégué général de la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération). « C’est lorsque l’on a plusieurs dizaines d’usages différents – ce qui est le cas pour un internaute moyen – que les problèmes apparaissent. On perd des documents, on ne sait pas comment publier et dépublier des messages sur certains sites, on est parfois angoissé par certains actes sur une appli bancaire ou en traitant ses impôts… Ces nouveaux embarras numériques, concernent les gens qui sont déjà connectés. Plus les Français ont d’usages numériques non choisis, plus ils ont des ennuis ».
Les 18-24 ans rencontrent par ailleurs le plus de freins liés à un accès difficile à internet (17%) et à un équipement dépassé (18%). En outre, les freins liés à l’équipement sont plus présents chez les personnes aux faibles revenus : 17% sont gênés par leur manque d’équipement, 11% par leur accès difficile à internet, et 14% par leur équipement dépassé.
Le niveau de diplôme est également lié à des variations importantes dans les freins rencontrés : tandis que les non diplômé.e.s sont particulièrement concerné.e.s par la maîtrise insuffisante des outils (32%), le manque d’équipement (26%), et l’accès difficile à internet (16%). A l'inverse, les diplômé.e.s du supérieur sont les plus nombreux.ses à ne rencontrer aucun frein particulier dans leur usage des outils au quotidien (59%).
Pour mieux maîtriser les outils, les adultes privilégient la formation individuelle en ligne
« Les situations d’isolement créées par les différentes périodes de confinement ont mené de nombreuses personnes à devoir se familiariser rapidement et en autonomie avec de nouveaux outils numériques » observent les analystes du Credoc. « Dans ce contexte, on constate une forte augmentation des personnes interrogées considérant le fait de se former seul sur internet comme le dispositif le plus adapté pour mieux maîtriser les outils numériques depuis 2017 (28%, 16 points). Ce mode de formation est désormais autant plébiscité que l’aide à son cercle amical ou familial (28%, + 1 point) ».
« Après deux ans de distanciation sociale, les dispositifs impliquant un échange en présentiel sont moins bien perçus cette année, qu’il s’agisse d’une formation sur le lieu de travail (11%, - 12 points), ou d’un accompagnement dans un lieu dédié en dehors du milieu professionnel, qu’il soit personnel (11%, - 6 points) ou collectif (16%, - 9 points) ».
Tandis que la formation autonome sur internet était en 2017 surtout l’apanage des jeunes adultes, les écarts se sont résorbés en 2020, avec un fort engouement des 40-59 ans (31%, + 20 points) et des 60-69 ans (30%, + 20 points). La formation seule sur internet est également très appréciée par les plus diplômé.e.s (32% des diplômé.e.s du Bac ou équivalent, 31% des diplômé.e.s du supérieur) : le niveau de formation semble faciliter l’apprentissage autonome en matière numérique, les plus diplômé.e.s étant par ailleurs un des groupes ayant le plus l’impression de mieux maîtriser les outils du numériques depuis 2020.
Les 70 ans et plus citent toujours moins que la moyenne ce mode d’apprentissage (19%), mais ils le font bien davantage qu’en 2017 (+ 14 points). Ces générations plus âgées s’en remettent avant tout à leur entourage (31%). Probablement car certains publics âgés sont vraiment en distance des usages numériques, une part importante des septuagénaires (30%) n’est pas en mesure d’identifier les dispositifs ou moyens d’aide qui lui seraient le plus adaptés (30%).
Les jeunes générations se montrent, cette année, un peu plus ouvertes à se former hors du milieu professionnel, dans le cadre d’un accompagnement personnel sur un lieu dédié (18% des 18-24 ans, + 6 points), tandis que ce mode d’accompagnement est moins plébiscité dans tous les autres groupes sociaux.
Les cours collectifs dans un lieu dédié (hors milieu professionnel) sont également moins bien perçus qu’en 2017, avec en particulier une baisse conséquente de la part des 60 ans et plus citant ce dispositif comme le plus adapté (22% des 60-69 ans, - 15 points ; 19% des 70 ans et plus, - 13 points). Ce sont désormais les 18-24 ans qui se montrent les plus favorables à ce dispositif (12%), ainsi que les cadres et professions intellectuelles supérieures (11%) et les résidents de l’agglomération parisienne (10%).
La formation sur le lieu de travail apparaît enfin pertinente aux yeux des groupes socioprofessionnels les plus concernés : les cadres et professions intellectuelles supérieures (18%), les professions intermédiaires (22%) et les employé.e.s (14%). Les personnes au foyer vont pour, leur part, davantage s’adresser à leur cercle amical ou familial (40%).