Le Haut conseil du travail social (HCTS) revient, dans un rapport sur l’impact de la crise sanitaire sur les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux dans les différents champs : solidarités au sens large, pauvreté, accès aux droits, protection de l'enfance, accompagnement des personnes en situation de handicap et/ou en situation de dépendance, hébergement d'urgence ou encore travail social dans les quartiers.
Le rapport explore cet impact sous différents angles : la gouvernance et les organisations, les dynamiques territoriales et les liens partenariaux, les relations avec le public, les pratiques professionnelles, les expériences et les initiatives prises, le vécu et le ressenti des travailleurs sociaux et des personnes accueillies et accompagnées.
Il consacre un chapitre, nourri de témoignages, à l’utilisation des outils numériques : si la crise sanitaire a accéléré la transition numérique, elle révèle aussi des freins à son développement.
La crise, accélérateur de l’usage du numérique
L’utilisation des outils numériques n’est pas tout à fait nouvelle chez les travailleurs sociaux.« Jusqu’alors, les représentations dominantes mettaient en doute les capacités des travailleurs sociaux à s’approprier ces technologies, voire leur frilosité pour ne pas dire leur réticence à les utiliser. Les arguments avancés portaient à la fois sur des craintes d’un impact négatif sur la relation, mais aussi sur des doutes sur la sécurité et la confidentialité des données concernant les personnes accompagnées et enfin l’arrivée insidieuse via l’informatisation d’une rationalisation comptable de l’activité, accompagnée d’exigences d’objectifs quantitatifs, laissant peu de place à la dimension qualitative de la relation et à la finalité du travail social ».La crise sanitaire et l’exigence de télétravail ont mis en évidence une autre face du retard des travailleurs sociaux dans l’appropriation du numérique, qui elle, ne peut pas leur être imputée : celle du manque d’équipement. « Beaucoup de travailleurs sociaux sont partis travailler à leur domicile avec leurs dossiers et … un téléphone, parfois même le leur ! ».
Des situations très hétérogènes.Certains services, institutions, collectivités avaient déjà engagé de longue date des plans d’équipement et de formation des travailleurs sociaux, d’autres en revanche se sont trouvés face à leur manque d’anticipation. « Les premiers jours, voire les premières semaines, des solutions en termes d’équipement et de communication, conférences téléphoniques, visioconférences ont été mobilisées en un temps record et ont accéléré le processus d’appropriation des outils numériques ».
Les usages du numérique, réalités et impact
Le terme générique de numérique regroupe de nombreuses réalités, depuis le téléphone aux réseaux sociaux en passant par l’utilisation des logiciels métiers.Le téléphone« Dans les faits, la plupart des travailleurs sociaux ont surtout utilisé un téléphone, outil ni nouveau, ni révolutionnaire en tant que tel, mais c’est l’usage même du téléphone qui a été nouveau. Dans l’impossibilité de recevoir physiquement les personnes, le téléphone est devenu le vecteur du maintien du lien. Jusqu’alors, le téléphone était familier et permettait de prendre des rendez-vous, de contacter des partenaires, de joindre diverses plateformes. A partir du confinement, il s’est imposé pour l’ensemble des actes professionnels ».L’utilisation de la visioconférence et des réseaux sociaux« La plupart des collectivités, établissements et associations ont rapidement utilisé des supports de visio-conférence pour maintenir le fonctionnement de la structure et les liens entre les différents agents : réunions de services, réunions partenariales etc. Pour la plupart d’entre eux, cette pratique est perçue comme offrant de multiples avantages : efficacité liée à la nécessité d’être concis, rigueur de préparation, respect des prises de parole, gain de temps, moins de déplacements ». Cette pratique présente toutefois des limites : « dans le cadre de projets ou de réflexions à construire, elle s’avère moins efficace, car elle limite la créativité, les échanges et les débats contradictoires producteurs d’intelligence collective ».« L’expérience positive de l’utilisation de la visio-conférence va permettre d’inscrire durablement cette pratique dans les institutions, et devraient présenter un gain de temps pour tous, y compris pour les travailleurs sociaux, à la condition de ne pas céder à l’illusion que désormais tout échange peut se faire à distance » observent le HCTS : « La rencontre directe doit rester une priorité, elle reste la base de la relation humaine et du dialogue ».« Les systèmes de visio-conférences ont également été utilisés par des travailleurs sociaux pour maintenir des activités de groupe (insertion, activités de lien social) mais aussi pour communiquer et relayer de manière compréhensible les messages nationaux ».Le numérique, l’outil du télétravail
Le cadre de travail de l’accompagnement à distance a été le télétravail ou plus exactement le travail à la maison.Le télétravail est réglementé et doit réunir des conditions de disponibilité de l’agent à son domicile, ce qui suppose qu’il conduit ses enfants à la crèche ou à l’école et dispose ainsi d’un espace lieu et temps consacré à son activité professionnelle. « Pendant le confinement, n’ayant pas été répertoriés pour l’accès aux crèches et aux écoles, les travailleurs sociaux se sont retrouvés comme beaucoup de professionnels à gérer le travail et la sphère domestique, situation renforcée par le caractère genré de ces professions, majoritairement occupées par des femmes ».
Le HCTS pointe ici, « un effacement de la rupture entre vie professionnelle et vie personnelle, au détriment des professionnelles (…) des professionnelles ont souvent dû faire face dans leur quotidien à la fois à leur travail professionnel et aux travaux domestiques : s’occuper des enfants, préparer les repas (…) La période de confinement, loin d’avoir permis un rééquilibrage des tâches entre les sexes, a au contraire été marquée par l’augmentation des inégalités entre les sexes dans la répartition du travail domestique, pénalisant les professionnelles »
Dans le cadre du travail social, cette porosité entre sphère privée et sphère professionnelle a produit des effets contrastés : « pour certains travailleurs sociaux cette situation a été compliquée pour tout concilier, mais n’a pas été forcément gênante dans la relation avec les personnes, elle a même parfois pu créer une certaine solidarité voire une certaine complicité entre travailleurs sociaux et personnes accompagnées ».
Favoriser un meilleur usage des outils numériques
A la suite de ce rapport, le HCTS préconise (c’est la neuvième de ses 12 préconisations) de favoriser un meilleur usage des outils numériques :- En équipant les travailleurs sociaux de matériel performant et nomade (smartphone, tablette, ordinateur, VPN) ;
- En développant des modalités d’accès au numérique pour les populations en situation de pauvreté : gratuité du Wifi, tarification sociale, don de matériel reconditionné, etc. ;
- En développant le réseau des médiateurs numériques et la coopération entre ces derniers et les travailleurs sociaux.
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